Situation nationale : La Transition ne peut plus être le bac à sable du RSP et de Diendéré
Dans cette tribune, le président du Cercle d'Éveil, Evariste Konsimbo, sonne l'alarme républicaine à la suite du coup de force perpétré, mercredi 4 février, contre le Conseil des ministres par les éléments du Régiment de sécurité présidentielle (RSP). Il plaide pour une logique de rupture, notamment en délocalisant la Présidence du Faso à Koulouba et en faisant appel aux forces de sécurité civiles pour en assurer la protection. Il lance aussi un appel à la communauté internationale pour aider la Transition à reconvertir ce régiment d'exception afin de l'engager sans délai sur des terrains d'opération sous-régionaux.
Dans une récente tribune, nous avions titré "Rien n'est perdu, mais rien n'est encore gagné". L'intrusion du Régiment de sécurité présidentielle (RSP), et à deux reprises en un mois, dans le Conseil des ministres montre à quel point les risques internes qui pèsent sur les organes de la Transition sont grands. Partout des voix s'élèvent pour condamner cette violation de l'ordre constitutionnel, mais personne n'admet encore que la liberté et la force avec lesquels le RSP agit sous la Transition sont exactement proportionnelles à la faiblesse que la classe politique et les organisations de la société civile (OSC) affichent depuis le 31 octobre à son égard.
En fait, le RSP est parfaitement dans son rôle. Ses prétentions sont la conséquence directe de la perversion de la mission de nos forces de sécurité et de défense par le régime du binôme Compaoré/Diendéré, qui ont institué au sein de ces forces une garde prétorienne, capable de faire et de défaire le titulaire du palais de Kosyam. C'est bien ce même RSP qui a finalement manipulé le Mouvement citoyen d'octobre dernier, avec la complicité de certains politiques et de certaines OSC, pour qu'il accouche d'une Transition largement galonnée. Nous avons tous péché par naïveté, mais aussi par manque de courage, par crainte d'avoir à affronter le problème et de devoir être responsable des dégâts collatéraux d'un affrontement avec le RSP. Si ce régiment joue encore aujourd'hui un rôle éminent dans notre vie politique, c'est surtout parce que place de la Révolution, il a fallu faire semblant de ne pas savoir pour laisser l'un de ses chefs s'auto-proclamer président avant de couvrir ce putsch militaire au nom du pragmatisme politique.
Le chantage du 31 octobre
La différence entre les militaires et nos politiques, c'est que ceux-là n'ont pas peur des morts, y compris d'en faire beaucoup pour arriver à leurs fins, tandis que ceux-ci sont paniqués à l'idée de jeter des gens sur des balles et de devoir porter dans leur conscience le sacrifice d'innocents. Ce fut d'ailleurs le chantage des éléments du RSP conduit par le lieutenant-colonel Zida le 31 octobre dernier sur la place de la Révolution. Laisser faire les militaires, sinon le départ de Blaise Compaoré se soldera par un bain de sang, dont les politiques et les OSC porteront la responsabilité. Cette peur légitime est le dérapage originelle de la Transition, dont la militarisation a été considérée, y compris par une partie de la communauté internationale, comme un moindre mal. Le deal était moralement séduisant, mais politiquement désastreux, voire même létal pour notre démocratie. Nous en payons le prix aujourd'hui.
En proposant ce deal, que voulaient éviter les éléments du RSP accourus place de la Révolution ? Que le Peuple lui-même, ce Peuple qui venait de prendre d'assaut l'Assemblée nationale, qui venait d'affronter les balles devant le domicile de François Compaoré, les défassent en allant chasser lui-même l'ex-président de son palais. Pour Diendéré comme pour Zida, alors commandant en second, il était clair que leurs éléments ne pourraient pas contenir la foule, et que le sang appelant le sang il faudrait battre en retraite. Va pour quelques morts, mais des centaines de morts, devant les caméras du monde entier, des gens fauchés les mains en l'air par des armes de guerre, c'était en tant que chefs du RSP la Cour pénale internationale, pour Diendéré, pour Zida et pour toute la chaîne de commandement. La France, avec son ambassadeur et ses centaines de conseillers militaires à la manoeuvre, a été l'instigatrice de cette option douce, avec corrélativement une offre de service tout compris pour exfiltrer Blaise Compaoré.
Diendéré, l'âme noire du RSP
Quelle leçon faut-il tirer de cette confiscation du Mouvement citoyen du 31 octobre par les éléments du RSP sous la houlette de Zida, sur l'avant-scène, et de Diendéré, dans la salle des machines ? Qu'il faut appeler un chat un chat, qu'il ne faut pas qualifier de civile une transition où les postes clef sont dans les mains de militaires, qu'il faut voir dans l'intrusion en conseil des ministres un coup de force militaire, qu'il faut reconnaître que l'ancien président Blaise Compaoré, avec l'appui de son compagnon d'armes et de trafics Ouattara, est en train de déstabiliser la Transition. Les politiques autant que les OSC ont pris trop de gant avec ceux qui faisaient la base du régime Compaoré, le RSP et les milieux d'affaires qui moissonnaient le pays à son avantage. Inutile de croire à une réalité qui n'existe pas, du moins encore, et de faire preuve d'aussi peu de lucidité. Le diable est à Yamoussoukro, mais ses adjoints rôdent partout au Faso…
La Transition que nous vivons, et dont nous espérons qu'elle se terminera par des élections libres et démocratiques, est un coup d'État travesti, avec la complicité de la classe politique, de certaines OSC et de grandes puissances cherchant d'abord à préserver leurs intérêts. La question qui est posée à tous les démocrates burkinabè est pourtant simple : si le RSP peut entrer en plein Conseil des ministres et indexer les ministres en leur demandant de déguerpir, que peut-il ne pas faire pour que les prochaines élections se passent en sa faveur ? La conclusion est évidente : aucune élection ne pourra avoir lieu tant que le RSP sera là où il est, avec les moyens et les armes dont il dispose. Si l'on veut faire les élections, il faut commencer par dégager le RSP et celui qui en est l'âme noire, Diendéré.
La leçon donc, c'est qu'il ne faut pas reculer et qu'il faut imposer ce que cette transition n'aurait jamais dû cesser d'être, civile et démocratique. Chacun de nous, homme politique, syndicaliste, représentant de la société civile, simple citoyen doit avoir le courage, y compris en retournant dans la rue, de dire non à la dérive militaire qui fait peser le risque d'un retour de l'ancien régime, voire même de Blaise Compaoré lui-même. La stratégie de son clan est limpide : amener, à petites doses, le pays vers un état de déliquescence qui fasse regretter, l'ancien régime, notamment à la masse qui vote, les populations rurales.
Imposer une logique de rupture
Ne l'oublions pas, les villes font les révolutions, et les campagnes font les élections, en particulier à coup de feuilles. Voilà pourquoi Compaoré est en réserve du Faso, et avec tous ses relais militaires et financiers, tient une partie des rouages de la Transition, dans l'espoir de faire reculer les élections et de créer une situation nationale propice à son retour. Céder devant le RSP aujourd'hui, c'est compromettre les élections, et c'est tout simplement dérouler le tapis rouge à l'assassin de Thomas Sankara.
La seule option politique, c'est que la logique de rupture s'impose à tous les organes de la Transition, et que la classe politique et les OSC se regroupent autour de cette logique, comme elles ont pu le faire en octobre dernier autour de la défense de notre Constitution. La menace est énorme et il ne faut pas la prendre à la légère, en s'amusant des humeurs du RSP comme s'il s'agissait d'un chien rendu fou par quelque tique. Donc le premier mot d'ordre, c'est l'union sacrée autour des organes de la Transition en les orientant dans le sens d'une rupture radicale avec l'ancien régime du binôme Compaoré/Diendéré.
Et dans cette logique, c'est aux organes de la Transition, exécutifs comme législatifs, de décider qui doit occuper quel poste et si tel poste peut être ou non occupé par un militaire. Ce n'est pas au RSP de décider si Zida doit être ou non Premier ministre, et si ces gens ne le comprennent, redescendre dans la rue pour répéter le message du 31 octobre. En revanche, c'est au ministre de la Défense Zida et au président Kafando de décider qui est à la tête du RSP et qui est le chef de l'État-major particulier du Président. Ainsi en est-il selon la Constitution que le Peuple vient de défendre avec le sang versé par des militaires, ceux-là même qui prennent le Conseil des ministres pour leur bac à sable !
Délocaliser la Présidence du Faso
La seconde option, qui suppose un certain courage, mais c'est une question de salut démocratique aujourd'hui pour notre Nation tout entière, c'est de priver le RSP de sa raison d'être et de le rendre superflu. Ces révolutions de palais quotidiennes ne sont possibles que parce que les hommes de Diendéré vivent dans la proximité du pouvoir et que loin du Peuple, ils peuvent opérer en toute tranquillité. Ramenons le pouvoir et les organes de la Transition au milieu du Peuple, en centre ville, là où le moindre mouvement est immédiatement repérable. Que la Présidence, le Président et le Conseil des Ministres déménagent illico dans l'ancienne présidence, à Koulouba. Dans le même temps, que la sécurité du Président soit assurée par des éléments de gendarmerie et de police, comme c'est le cas dans toutes les démocraties du monde. Il ne s'agit pas seulement de faire dans le symbole, mais bel et bien de marquer fortement le territoire de notre démocratie.
Et là de grâce, Monsieur le Président de Transition, oubliez ces manières de diplomate toujours enclin à enterrer un problème en convoquant une commission, que certains dans votre entourage et au-delà de nos frontières vous pressent de réunir, avec des moyens très persuasifs quand aux risques que vous encourez à vous émanciper de ceux qui vous ont fait. Non, ne bavardons plus autour du RSP, mais décidez de vous mettre à l'abri, et avec vous tous les organes de la Transition, à l'abri de ces prédateurs de pouvoir, et si vous ne le faites pas, au moins nous aurons compris le degré d'affinité que vous partagez avec le type de régime qu'ils défendent. Un prisonnier consentant n'est jamais rien d'autre qu'une sorte de complice…
Si le RSP n'assure plus aucune mission de protection présidentielle, son nom lui-même devient caduc. Il est alors possible, et immédiatement, de penser à ses nouvelles affectations. Dans cette perspective, la Transition doit demander, et exiger, l'appui de la communauté internationale pour réaliser une reconversion de ce régiment en fonction des capacités opérationnelles de celui-ci, avec un engagement sur des terrains d'opération dans la sous-région, où il sera d'une plus grande utilité au feu devant des bandes armées, sans foi ni loi, que devant des manifestants les mains levées. La France en particulier, qui a armé, entrainé et largement couvert les activités souterraines de ce régiment et de son chef, le général Diendéré, et dont les forces spéciales stationnées irrégulièrement dans notre pays entretiennent avec lui des rapports de quasi consanguinité, s'honorera à neutraliser cette milice de barbouzes qu'elle a léguée au Peuple burkinabè et à redonner aux autres militaires la place qu'ils méritent, celles de soldats d'une armée nationale au service de la sécurité de notre pays et de ses populations.
Le RSP, un abcès qu'il faut crever
La justice doit aussi jouer son rôle dans cette affaire. Il est grand temps que l'on en finisse avec le sentiment d'impunité qu'éprouve la population devant les exactions du RSP. Certes, il est important d'élucider les meurtres du président Sankara, du journaliste Norbert Zongo ou du juge Nébié. Mais il est encore plus urgent que nos magistrats répondent sans délai à ces questions. Où sont les assassins des citoyens qui ont été tués alors qu'ils défilaient ? Qui a donné l'ordre aux soldats de tirer à balle réelle ? Qui a signé l'ordre de réquisition et fixé les règles d'engagement ? Pourquoi des assassins continuent-ils d'exercer des fonctions de commandement au sein de l'armée ou vaquent-ils à leurs affaires, nourris, blanchis et logés au Conseil de l'Entente aux frais du Faso ? Comment Blaise Compaoré qui ne jouit d'aucune immunité pour ces derniers crimes coulent-il des jours tranquilles de réfugié politique en Côte d'Ivoire ? Tant que les assassins ne seront pas en prison, la Transition restera menacée de gangrène et le Conseil des ministres, le souffre-douleur du RSP.
À nos yeux, il faut que la classe politique et les OSC prennent très au sérieux la situation créée par la seconde intrusion du RSP en Conseil des ministres et l'ultimatum lancé de cette manière par Diendéré au Premier ministre de transition, Yacouba Zida. Il faut se lever, et même si on n'apprécie pas la présence d'un militaire au poste de Premier ministre de la Transition, dire non, Zida ne partira pas parce que Diendéré et le RSP le veulent ! C'est une chance inouïe pour tous les démocrates, pour tous ceux qui attendent que les fleurs du 31 octobre dernier portent bientôt leurs fruits, pour tous ceux qui veulent enfin voir un président élu démocratiquement au Burkina Faso, de crever l'abcès et de couper définitivement les racines de 27 ans de régime de dictature.
Hier, en quittant le pouvoir, Blaise Compaoré a passé la porte, aujourd'hui, en remettant le RSP à sa place et en mettant les organes de la Transition à l'abri des humeurs de Diendéré et des siens, nous allons la fermer, définitivement cette porte. Et c'est derrière cette porte fermée que nous allons organiser des élections qui remettront notre pays dans le sillon d'une histoire où la liberté, la justice et la paix seront des réalités enfin tangibles, pour tous nos concitoyens.
Ouagadougou, le 05 février 2015
Le Président du Comité Exécutif
Evariste Faustin Konsimbo
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