Diaspora : Françoise Toé, l'amazone du PDP/PS

Publié le jeudi 5 février 2015


Expert-comptable, militante du Parti pour la démocratie et le progrès/Parti socialiste (PDP/PS), héritière du Mouvement de libération nationale (MLN), du Front progressiste voltaïque (FPV) et de la Convention nationale de patriotes progressistes (CNPP), Françoise Toé s'est investie depuis quelques mois dans la redynamisation de sa formation dans la perspective de la présidentielle et des législatives du 11 octobre prochain.




Le 13 septembre 2014, le président de l'Union pour le progrès et le changement (UPC) et encore chef de file de l'opposition s'entretient avec les Burkinabè de France sur la situation nationale. Après avoir remercié les hommes et les femmes « qui tiennent haut le flambeau de la présence de notre pays ici en France » il salue « la présence de représentants des représentants de partis politiques de l'opposition », notamment Sibiri Célestin Nabaloum du MPP, « un parti frère avec qui nous entretenons une relation qui, au-delà des individus, pour ceux qui savent l'histoire des uns et des autres, s'articule autour de nos visions communes ».


Avant de dérouler son discours, il s'assure de n'avoir pas oublié de citer d'autres représentants de partis politiques. « Si », répond une dame, installée sur le côté droit de la salle, attirant les regards sur elle. « Je suis Françoise Toé et je représente le PDP/PS ». « Ah, bonjour Madame et merci d'être là », réplique courtoisement Zéphirin Diabré, mais manifestement, le chef de file de l'opposition confond le Parti pour la démocratie et le progrès/Parti socialiste (PDP/PS) et le Parti pour la démocratie et le socialisme-Parti des bâtisseurs (PDS/Metba), puisqu'il enchaine en expliquant que ce parti est très présent dans les manifestations contre la révision de l'article 37 de la constitution, et que le carton rouge de Arba Diallo, qu'il a brandi au stade du 4 août contre Blaise Compaoré « a fait un tabac ». « Non, moi, c'est le PDP/PS, le parti de Joseph Ki Zerbo », corrige Françoise Toé.


Cette anecdote résume à elle seule l'état piteux dans lequel la formation dont elle est membre se débat depuis la disparition de son fondateur en 2006. A part quelques inconditionnels, des militants restés très fidèles à la personne et aux combats de Joseph Ki Zerbo, on peut se demander ce que les jeunes qui ont pris d'assaut l'assemblée nationale le 30 octobre 2014 savent du PDP/PS. Premier parti de l'opposition à l'issue des élections législatives de 1992, il se retrouve, de fait, dans une situation de quasi clandestinité. Succession mal négociée, manque de leadership, problème de démocratie interne ? Tout cela explique les mauvais résultats du candidat du PDP/PS à l'élection présidentielle de 2005, Ali Lankouandé, qui n'avait obtenu que 1,74%, un peu mieux que François Kaboré n'avait totalisé que 0,65% des suffrages exprimés cinq ans plus tard. Aux législatives de 2002, le PDP/PS qui avait obtenu 10 sièges est tombé à 2 sièges en 2007 et a carrément disparu de l'assemblée nationale à l'issue des législatives de décembre 2012.


A huit mois de l'élection présidentielle et des élections législatives qui devraient clore la période de transition ouverte depuis octobre 2014, le Parti pour la démocratie et le progrès/Parti socialiste (PDP/PS) va-t-il se donner les moyens de rebondir et reconquérir la place qui est la sienne sur l'échiquier politique burkinabè ? Autrement dit, le parti qui a historiquement incarné et défendu l'idéologie socialiste depuis les luttes pour l'indépendance jusqu'au retour à une vie constitutionnelle normale en passant par les régimes d'exception, peut-il refaire son unité, réaliser un score honorable aux prochaines échéances et peser dans les choix économiques dans les années à venir, sachant que certains membres du bureau ont rejoint le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) ? François Toé veut y croire.


Expert-comptable de profession, patronne du cabinet Seccapi, elle occupe le poste de secrétaire nationale aux relations extérieures du PDP/PS, et le représente en France où, avec quelques amis et d'indécrottables camarades socialistes, elle s'atèle à mettre une cellule en place.


Dans la série de portraits des leaders des partis politiques burkinabè en France que nous avons entreprise, le rendez-vous avec elle avait été fixé le 7 janvier, quelques jours avant qu'elle n'entame un périple professionnel qui la conduit à Ouaga, Bamako et Douala. Ce jour-là, elle avait aussi un rendez-vous avec le patron du « Pôle international » du Parti socialiste français. Avec son camarade de lutte, Gustave Gouba, ils sont finalement reçus par Sébastien Gricourt, membre du Pôle International, le patron étant mobilisé par l'attentat qui a frappé le journal Charlie Hebdo. Au bout d'une heure, ils en ressortent, manifestement satisfaits de la séance de travail qu'ils viennent d'avoir avec leurs camarades Français. « Tout s'est bien passé, confie t-elle. Nous avons constaté que le PS suit de près ce qui se passe au Burkina, et nos camarades se demandaient ce que le PDP/PS est devenu. Nous leur avons fait le point de la situation politique nationale et de celle de notre parti, en les informant du travail de rénovation que nous menons et le soutien dont nous avons besoin pour faire rayonner à nouveau le PDP/PS ». Poursuivant le compte rendu de la séance de travail qu'ils viennent d'avoir, elle se félicite d'avoir insisté pour obtenir ce rendez-vous : « Vous savez que le PDP/PS est membre de l'International socialiste (IS) depuis des décennies ; mais comme le parti a des difficultés, nous n'étions plus présents dans les activités internationales, comme à Genève, lors du conseil de l'International socialiste (IS) en décembre dernier. Les responsables du MPP qui y étaient, ont dit là-bas que nous sommes désormais ensemble, ce qui n'est pas vrai. Nos interlocuteurs ont suggéré de clarifier tout ça aux niveaux des instances de l'IS ». Voilà le premier chantier auquel cette militante, qui a été de toutes les batailles depuis le Mouvement de libération nationale (MLN) jusqu'au PDP/PS, compte s'attaquer.


Native de Toma, dans le Nayala, Françoise Toé a une solide expérience dans le militantisme politique. Même si elle n'a jamais occupé des postes de responsabilité, elle a toujours été active dans le mouvement étudiant, et « avec Jacqueline, la femme de Ki Zerbo, on battait la campagne ensemble lors des élections ».

Après l'école primaire à Toma, elle s'inscrit au collège de Tounouma, puis passe un an à Nasso où elle obtient le Brevet d'études, avant de migrer à Ouagadougou pour le lycée à Notre dame de Kolog-Naba. Admise au baccalauréat, elle s'inscrit en droit à l'université du Bénin, ouverte dans l'urgence pour accueillir les étudiants qui avaient été expulsés de l'université d'Abidjan en 1966 à la suite d'une grève attribuée aux étudiants d'extrême gauche, agents du communisme en terre ivoirienne.

« Il manquait de structures pédagogiques et d'accueil à Cotonou, et à la fin de la première année, je suis partie continuer à Poitiers, en France où j'ai obtenu une maitrise en droit », se rappelle t-elle. Elle n'a aucune idée fixe sur le métier qu'elle souhaite exercer quand une amie togolaise lui apporte une coupure de presse présentant l'expertise-comptable comme un métier d'avenir. « Quand j'ai lu l'article, j'ai compris toute suite que c'est exactement ce que je veux faire », se souvient celle qui est maintenant à la tête d'un cabinet d'une vingtaine de salariés à Ouaga, avec des représentations à Bamako et à Verrières, dans la région parisienne.


Elle s'inscrit alors en comptabilité à Orléans, y décroche le diplôme et rentre au pays en 1977. Elle commence à travailler à la Banque nationale de développement du Burkina (BND) tout en suivant des cours par correspondance, son ambition étant d'obtenir le titre d'expert-comptable. En 1981, elle valide son année, mais il lui faut faire un stage obligatoire de trois ans, avant de décrocher le parchemin. Par chance, un expert-comptable en France est disposé à la recevoir pour un an, les deux années de stage restantes pouvant être effectuées au Burkina. Mais ses supérieurs et certains de ses collègues ne voient pas d'un bon œil son projet. Souvenirs amères : « Le directeur administratif et financier a donné un avis favorable, de même que la direction générale. Mieux, mes supérieurs avaient même promis de créer un poste de contrôleur de gestion que j'occuperai à mon retour. Malheureusement, il y a eu un changement de direction avec l'arrivée de Talata Dominique. Mes collègues sont allés lui dire que j'ai manipulé son prédécesseur et qu'ils ne sont pas d'accord que je parte en stage. Ils l'ont convaincu et il m'a appelé pour me dire qu'il n'allait pas signer les documents. Je lui ai expliqué que la BND n'a rien à débourser, mais il a refusé. J'ai alors demandé une mise en disponibilité d'un an, m'engageant à revenir, ce qu'il a également refusé, en disant que ce n'est pas prévu dans les statuts de la banque ». Têtue comme une « Samogho », François Toé ne renonce pas à réaliser son projet.


On lui signifie clairement qu'elle sera considérée comme démissionnaire, une menace que la direction n'a pas tardé à mettre à exécution en lui envoyant une lettre récapitulant ses droits et un certificat de travail. Pas assez pour la dissuader. Elle vend sa voiture et les biens qu'elle avait et débarque le 8 janvier 1982 à Vannes, dans le Morbihan (Ouest de la France) à un jour près de la clôture des inscriptions.

« Je suis partie, et au lieu d'une année, je suis restée trois ans ; quand on est étranger, on doit faire un an en France et deux ans dans son pays d'origine. Mais comme j'étais en France et qu'on m'avait licenciée, que je n'avais plus d'emploi, j'ai profité faire venir mes enfants ». A la fin du stage et le diplôme obtenu, elle ne peut toutefois pas s'inscrire à l'Ordre des experts-comptables, le métier étant réservé aux nationaux. « Pour les étrangers, il faut une autorisation du ministre français du Budget, une enquête de moralité et le tout peut prendre trois ans avant d'avoir une réponse ». En attendant, elle travaille comme salariée et en 1991, elle rentre ouvrir un cabinet au Burkina, une aventure qui a failli mal tourner. La clientèle se fait rare et certains ne sont pas loin de penser qu'elle n'est que la vitrine, les vrais patrons du cabinet étant tapis dans l'ombre. Découragée, elle pense à tout arrêter, déclarer la faillite quand par miracle, un cabinet international à la recherche d'un partenaire au Burkina, et qui avait entendu parler d'elle en bien, appelle au bureau et demande à parler à Mme Sawadogo, son nom d'épouse à l'époque. Une opportunité qu'elle a bien saisie et qui l'a décidée à rester au Burkina, même « après que j'ai obtenu en 1994 l'autorisation d'exercer en France ». Plus tard, elle ouvrira un bureau en France, puis à Bamako en 2010 et depuis lors, fait en permanence, le triangle Ouaga-Paris-Bamako. Les affaires marchent bien et elle affirme avoir de « collaborateurs qui sont compétents », ce qui lui laisse le temps de s'occuper par moment de ses petits enfants et se consacrer à l'activité politique en prêchant la bonne parole du socialisme. « Je suis pour la solidarité, l'égalité et le partage ; des valeurs socialistes qui me conviennent, même si je sais que dans le passé, nos adversaires politiques ont caricaturé l'idée de partage dans les campagnes et que ça nous a fait du mal ». Allusion aux propos de campagne lors de la présidentielle de 1978, quand les militants du Rassemblement démocratique africain (RDA) ont saboté le programme du candidat de l'Union progressiste voltaïque (UPV) Joseph Ki Zerbo, en expliquant aux paysans que « si le Samo est élu président, il va rassembler vos récoltes et les partager à tout le monde, y compris à ceux qui n'ont pas cultivé ».


A part le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) qui avait des représentants en France et menait ouvertement des activités, les autres partis politiques Burkinabè, dont le PDP/PS, étaient invisibles. « Pour le PDP/PS, explique François Toé, cela tient au fait que durant la révolution, le Front progressiste voltaïque (FPV), [l'ancêtre du PDP/PS], était dans la clandestinité et ses cadres brimés. Ki Zerbo était réfugié à Dakar, et mon ex-mari, qui était un cadre du parti, a été dégagé alors qu'il était en train de terminer une thèse en biologie en France. Il n'est rentré qu'en 1990, après l'avènement de la rectification. Je n'ai pas vécu la période révolutionnaire, mais étant ici en France, je suis restée fidèle au parti ». Ceci n'explique sans doute pas pourquoi, son parti qui avait pris le nom de Convention nationale des patriotes progressistes (CNPP) au début des années quatre-vingt-dix avant de s'appeler PDP/PS en 2000, qui a participé à toutes les consultations électorales, n'avait jamais eu de visage dans l'Hexagone. Pis, le PDP/PS était absent lors des rassemblements devant l'ambassade du Burkina à Paris en octobre 2014, organisés par les partis politiques de l'opposition et les mouvements de la société civile. Quant on insiste, la réponse finit par tomber. « En vérité, pour des raisons de sécurité professionnelle, je ne me suis affichée publiquement que le jour de la rencontre de Zéphirin Diabré avec la diaspora en France. Vous savez comment on brimait ceux gens qui n'étaient pas avec le pouvoir en place, en leur privant de marchés ? Bien sûr, en septembre, l'ancien régime était encore là, mais les choses avaient changé avec les multiples manifestations contre la révision de l'article 37 auxquelles nous participions. Et puis, j'en avais assez de ne pouvoir exprimer publiquement mes convictions ».

Elle se dit plus que jamais déterminée à contribuer à redynamiser le PDP/PS, « un parti qui a sa place dans le paysage politique burkinabè parce que les valeurs que le professeur nous a transmises sont plus que jamais d'actualité » et parce que « peinée de voir l'héritage que Ki Zerbo a laissé au pays est en train de se déliter, et que le parti qu'il a fondé risque de disparaitre ».


Avec d'autres camarades qui sont dans la même réflexion, Françoise Toé entend refonder le parti et « rendre hommage au Professeur et à ses compagnons qui se sont battus pour le pays sans rien gagner personnellement. Eux, ils étaient intègres, et n'ont rien à voir avec les hommes politiques d'aujourd'hui ». Est-elle intéressée par une candidature à la présidentielle ou aux législatives en octobre prochain ? « Non, ma principale réoccupation, c'est de faire exister vraiment le PDP/PS, dire aux jeunes qui m'ont interpelée au village que le parti reste autonome, et n'a pas fusionné avec le MPP comme certains ont fait courir la rumeur, et que nous irons aux élections avec nos propres candidats là où nous avons des chances de l'emporter ». Son crédo ? La démocratie participative et une plus grande place accordée aux femmes », c'est-à-dire « associer les populations à la prise de décision et les emmener à s'en approprier. Il faut par exemple que l'exécution des marchés de construction ou d'entretien des routes soit contrôlée par la population, de sorte à contraindre les entreprises à respecter les termes du contrat ». Quant aux femmes, « elles doivent être bien positionnées sur les lites électorales pour être élues et non faire de la figuration ».


Panafricaniste, François Toé milite pour plus de solidarité entre partis frères membres de l'International socialiste, surtout africains. En séjour professionnel, elle s'efforce de prendre contact avec les responsables du parti qui défendent la même idéologie que le PDP/PS. On pose la question une seconde fois : « Vu votre parcours et votre expérience politique, n'êtes-vous vraiment pas intéressée personnellement par la présidentielle ? ». Sourire. « Si les camarades me proposent, j'aviserai ».


Joachim Vokouma

Lefaso.net (France)

Dans nos prochaines éditions, portrait de Ambroise Bassolé, du MPP





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