Dispositions fiscales sur les mutations d'immeubles : Un Inspecteur des Impôts, administrateur de biens, répond à Nestor Bassière
Cher honorable ex député ou ex honorable député à l'Assemblée Nationale,
J'ai lu avec une attention soutenue la lettre ouverte que vous avez adressée au Président du Conseil National de Transition (CNT). Elle ne m'est pas adressée. Donc, en principe, je ne dois pas y répondre. Mais en jetant votre lettre dans le domaine public (ici l'espace médiatique public), vous m'autorisez de fait à la saisir pour contribuer au débat que vous avez soulevé dans le sens de l'intérêt général qui est la vocation première du domaine public.
Je me sens le devoir de réagir pour deux raisons essentielles : Le contexte socio-politique marqué par la transition : il commande que notre comportement général, et ce que nous disons au public ait le sens de la mesure et de la justesse.
Le sujet traité : les mutations de terrains (ou mutations de droits réels immobiliers pour les spécialistes) qui font appel à la science fiscale en général et au droit de l'immobilier en particulier qui est mon domaine d'enseignement.
Ce n'est donc pas une attaque personnelle à la personne de Monsieur Nestor BASSIERE mais ma contribution au sujet traité en raison de son actualité et de l'intérêt qu'il présente pour être inscrit dans le projet de loi de finances exercice 2015. Je pense que Monsieur BASSIERE sait que je ne défends aucune chapelle. On se connait bien. Du reste, s'il a mémoire, il doit se rappeler que c'est à lui que j'avais remis en main propre mes observations sur le projet de loi portant Réorganisation Agraire et Foncière du 02 juillet 2012
I L'objet du débat
Sur le site lefaso.net, j'ai pu lire : « Le projet de réforme fiscale au titre de la loi de finances gestion 2015 relatif aux mutations à titre onéreux des terrains bâtis et non bâtis à usage d'habitation est une « arnaque »juste pour transférer les biens volés au peuple sous des « prête-noms ou de « fausses donations » par l'ancien régime ».
En rappel, le projet de loi ( dont je n'ai pas copie), selon Monsieur BASSIRE a prévu des frais forfaitaires de 300.000 francs et 500.000 francs respectivement pour les mutations portant sur les terrains nus et sur les terrains mis en valeur à Ouagadougou et Bobo-Diloulasso. Ces frais sont réduits de moitié ou du tiers pour les autres localités en fonction de la situation du terrain.
Traduction : si vous avez acheté un terrain à Ouaga ou à Bobo, vous allez payer 300 000 francs s'il est nu ou 500 000 francs s'il est construit pour changer les papiers en votre nom. Ces montants sont réduits de moitié ou de tiers pour les autres localités selon la situation du bien.
La pratique actuelle : si vous achetez un terrain nu ou bâti vous payez 8% de de la valeur vénale du bien. C'est-à-dire 8% du prix du marché du terrain nu ou construit.
Monsieur BASSIERE trouve que le forfait n'est ni équitable ni légitime et vise à « permettre de transférer les biens longtemps volés au peuple ».
II Inexactitude et Incohérence de l'exemple illustratif du député.
Vous prenez en exemple deux personnes ayant construit une maison de 10 millions pour l'un et 10 milliards pour l'autre qui paieront le même montant forfaitaire de 500 000 francs pour des immeubles situés à Ouaga.
L'exemple n'est pas bon ; il est même inexact. Il ne sera pas dans le champ d'application de la nouvelle loi. Parce que pour les personnes régulièrement attributaires qui ont investi sur leur terrain, il n'y a aucun frais de mutation à payer.
L'exemple est incohérent et indécent. Le projet de loi porte sur les immeubles à usage d'habitation. Connaissez-vous une seule maison à usage d'habitation au Burkina qui aurait une valeur de 10 milliards ? Vous avez choisi l'exagération pour marquer les esprits.
III Les frais forfaitaires de mutation sont-ils destinés à « permettre de transférer les biens volés au peuple sous des « prête-noms par l'ancien régime » ?
Mon cher honorable ex député, pensez- vous sincèrement que les frais de mutation constituent (même élevés) le vrai problème des prête-noms ?
Assurément non ! Et encore non ! Le problème de celui ou celle qui achète sous prête-nom c'est la dissimulation de l'information sur l'opération d'achat. L'acheteur (qui peut être une femme) ne veut pas qu'on sache qu'il a acquis un bien. En général, ces personnes finissent avec les formalités jusqu'à l'obtention du Titre Foncier de manière à ce qu'il n'y ait pas de doute sur la propriété du bien sous prête-nom. Leur problème n'est donc pas financier. Du reste, en parlant des biens volés au peuple ces personnes ne ressentent aucune douleur financière à payer des frais de mutation avec de l'argent qui ne leur appartient pas.
Honorable, ceux qui souffrent du coût des frais de mutation, ce sont ces nombreux salariés anonymes de tous les secteurs d'activités (public comme privé), ce sont ces nombreuses personnes non salariées qui triment pour avoir leur première (et souvent la seule) maison d'habitation. Ces personnes sont les plus nombreuses. C'est pour elles que le projet de loi dispose.
Vous pouvez vous rendre au Guichet Unique du Foncier de Ouagadougou et demander les statistiques. Vous allez vous rendre compte de la valeur moyenne des prix d'achat des terrains. Les personnes qui les achètent ne sont pas toutes des personnes qui ont fait des fortunes.
IV L'esprit du projet de loi
Rappelez- vous, mon cher ex député, que dans le justificatif de mes amendements sur le projet de loi portant Réorganisation Agraire et Foncière ; j'avais souligné deux points majeurs : Le délai de 5 ans imparti pour la mise en valeur des terrains est court au regard du niveau des revenus (salariés) au Burkina.
L'impossibilité de faire une mutation du terrain nu après les 5 ans est inadaptée.
Il me semble clair aujourd'hui que le législateur veut prendre en compte exceptionnellement la réalité des faits : ce sont les acheteurs de terrains nus (dans beaucoup de cas) qui construisent pour pouvoir faire la mutation. Du coup ils payent des taxes qui ne reflètent pas le prix d'achat réel du terrain.
Par ailleurs, de nombreux dossiers de mutation sont dans les armoires des services des impôts ou entre les mains de leur propriétaire. En permettant aux acheteurs de régulariser plus souplement leur situation foncière par le paiement d'un montant forfaitaire, il y a un double intérêt :
1. La sécurité foncière des acheteurs : ils auront désormais chacun son permis urbain d'habiter.
2. L'amélioration des recettes fiscales : c'est nécessaire si le Burkina veut compter sur ses propres forces.
V La question d'éthique et de justice fiscale
Sur ce point, je suis entièrement d'accord avec vous mon cher député. C'est d'ailleurs la fonction sociale de l'impôt. L'Etat doit surveiller que l'impôt ne crée pas des inégalités. Le secteur du logement est un secteur social par essence. A ce titre, l'Etat a le devoir de rendre accessible le logement à tous ses citoyens ; c'est une mission publique. Pour mettre en œuvre la politique nationale du logement, l'Etat fait appel à la promotion immobilière publique et privée en leur accordant des exonérations fiscales afin de réduire le coût de vente des villas aux acquéreurs. En réduisant les frais de mutation sur les terrains à usage d'habitation, n'est- ce pas aussi une mesure fiscale à l'endroit de ceux qui ne peuvent pas avoir accès aux maisons des entreprises de promotion immobilière ? C'est cela aussi l'équité fiscale.
La conclusion du débat
Honorable Ex député à l'Assemblée nationale,
Je pense que vous vous êtes laissé inspirer par votre esprit d'homme politique plutôt que par celui d'inspecteur des impôts. C'est pourquoi, j'ai tenu à apporter ma contribution au débat en espérant donner un autre son de cloche aux lecteurs et autres membres du CNT qui ne sont pas tous des spécialistes des impôts.
Votre proposition d'un retrait pur et simple du texte ne me parait pas raisonnable ; c'est une proposition maximaliste.
En revanche, il est loisible de faire une autre proposition qui respecte la faculté contributive, qui conserve l'équité et qui réduit les coûts des frais de mutation. Par exemple, réduire significativement le taux des droits de mutation en encadrant les bases d'impositions doit permettre d'obtenir des droits qui respectent les règles de la science fiscale.
Quant au problème de prête- nom, la mission juridique du cadastre va permettre d'identifier les propriétaires réels ou apparents et sa mission fiscale va permettre l'imposition des immeubles recensés.
Pour emprunter l'expression d'un internaute, ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain. Cherchons à amender le projet de texte car ceux qui vont en bénéficier sont bien plus nombreux que les « gens de l'ancien régime » qui du reste n'ont pas particulièrement besoin de cette mesure pour faire les mutations d'immeubles.
Très confraternellement
Basile DARGA
Inspecteur des Impôts/ Administrateurs de biens expert immobilier
Enseignant de législation domaniale et foncière à l'Ecole nationale des régies Financières.
via leFaso.net, l'actualité au Burkina Faso http://www.lefaso.net/spip.php?article62513