Affaire Dieguimdé : L'incapacité du gouvernement à défendre ses choix
Ce lundi 29 décembre 2014 au matin, alors que je suivais comme d'habitude les informations sur une chaine de radio internationale, je dus me pincer doublement pour être sûr que mon cerveau, encore transi par le froid de l'harmattan, ne me jouait pas un sale tour. Vous conviendrez avec moi qu'il est peu courant d'entendre sur une radio un Ministre de la République épeler consciencieusement, comme un élève du CP1, son nom et prénom pour prouver à ses interlocuteurs journalistes qu'il s'agit bien de sa personne. Et non d'un autre.
« Moumouni Dieguimdé. D de Daniel, I de India, E comme Eco, G de Golf, U comme Uniforme, I de India, M de Maeck, D de Delta, E comme Eco »...
Le ton était donné pour ce qui restera comme l'un des spectacles les plus tristes en matière de communication politique qu'il nous ait été donné de voir au Burkina Faso. Qu'un Ministre de la République, devant des journalistes, en soit réduit à cette mauvaise comédie pour justifier de son identité et faire face à des attaques justifiées ou non, est simplement pathétique. J'en aurais volontiers ri si, en tant que burkinabè, je ne m'étais senti ridicule aux yeux des millions d'auditeurs qui écoutent cette chaine d'information.
Un étudiant en communication aurait posé, bien en vue sur la table, devant notre Ministre « D de Daniel » un chevalet avec son nom inscrit dessus pour lui éviter cet exercice d'orthographe. Un conseiller en communication aurait anticipé la question sur l'identité de notre Ministre « I de India » en préparant un bref CV à distribuer aux journalistes avant le début de la conférence de presse. Monsieur le Ministre « G de Golf », sachez qu'une conférence de presse, surtout pour une communication de crise, ne s'improvise pas.
Monsieur le Ministre « U comme Uniforme », vous avez par une communication mal maitrisée depuis le début de cette affaire réussi l'exploit de transformer le mécontentement (justifié ou pas ?...) d'une partie du personnel de votre ministère en gros caillou dans la chaussure du gouvernement. Vous devez en tirer les conséquences et dire « D comme Démission ». Avec vous, c'est la communication gouvernementale qui a failli dans ce dossier par ses hésitations, son manque d'initiative. Comme dans bien d'autres d'ailleurs. A contrario, et sur le strict plan de la communication, bravo aux mécontents qui ont délaissé les traditionnels pancartes en carton et les banderoles en popeline pour des bâches bien conçues et bien imprimées. Ils sont très bien organisés…
En qualité, je ne minimise pas les faits qui sont reprochés à Moumouni Dieguimdé. Surtout que Monsieur « M de Mike » a maladroitement aggravé son cas en niant avoir fait la prison alors que les documents paraissent accablants. Ce qui m'interpelle au-delà de la personne de Monsieur « D comme Démission », c'est la dimension républicaine de cette affaire et la fragilisation de l'autorité gouvernementale qui en découle. Hier, c'était le Ministre de la Culture. Aujourd'hui, c'est le Ministre de l'Infrastructure (après la bourde de dimanche, je parie qu'il ne pourra plus tenir). Demain, d'autres soi-disant mécontents dans d'autres ministères et services exigeront le départ de leurs ministres. Ensuite, il n'est pas exclu que des mécontents à Kossyam exigent le départ de KAFANDO.
A ce rythme, il n'y aura pas d'action gouvernementale, donc pas de réformes de la justice, pas d'ouverture des dossiers judicaires emblématiques, pas d'élections en novembre 2015. Certaines personnes qui ont décampé de ce pays sous le soleil réchauffant de fin octobre seraient très heureuses de nous voir en arriver là. C'est leurs prières secrètes afin de pouvoir nous gueuler à la face « On vous avait prévenu. Sans lui, vous ne pouvez pas ! »
Mais bien sur que nous le pouvons ! Le peuple burkinabè a démontré sa force, sa qualité et sa volonté.
Nous le pouvons si nous comprenons qu'un gouvernement ne se forme pas dans la rue et qu'un ministre ne peut plaire à tout le monde.
Nous le pouvons si nous refusons que notre liberté nouvellement acquise se transforme en anarchie.
Nous le pouvons si le Premier Ministre tire rapidement leçon de ses erreurs et rectifie le tir.
Nous le pouvons si nous comprenons qu'il n'est pas possible d'avoir une administration de qualité en écartant systématiquement tous les hommes et femmes de ce pays qui ont servi sous le régime défunt. Ce serait exclure 27 ans de compétences et d'expériences.
Nous le pouvons si le gouvernement repense complètement sa communication en direction du peuple qui est en droit de vouloir savoir et comprendre.
Nous le pouvons. Parce que nous le devons à nos héros.
Moussa Edouard OUEDRAOGO
Consultant en communication
via leFaso.net, l'actualité au Burkina Faso http://www.lefaso.net/spip.php?article62533