Mythification de nos dirigeants : Nous sommes tous des complices conscients ou inconscients
Dans un article publié en aout 2014 dans zoodomail.com sous le titre « De Grands Hommes qui sécrètent des institutions fortes l'Afrique en cherche, mais des hommes forts qui ont une peur bleue des institutions fortes l'Afrique en regorge », nous avons posé la question suivante : « En fait qu'est-ce qu'un homme fort ? Que nos journalistes qui raffolent de ces termes nous viennent en aide »
Nous n'avons toujours pas obtenu la réponse. Nous revenons sur la question, parce que nous pensons que nous avons, individuellement ou collectivement, notre part de responsabilité dans le mythe que nos dirigeants construisent autour d'eux. En attitude, en paroles et en actes, sciemment ou inconsciemment. Nous avons constaté, que tant du coté de journalistes burkinabè qu'étrangers, ce sont les termes "nouvel homme fort du Burkina Faso" qui sont utilisés pour designer le nouveau Chef de l'Etat, le Lieutenant Colonel Yacouba Isaac Zida. Curieusement, nous n'avons jamais entendu ces journalistes utiliser ces termes pour designer d'autres présidents, notamment ceux d'autres continents comme l'Europe et l'Amérique. Nous n'avons jamais entendu ‘Homme fort' de la France parlant du président français François Hollande ou ‘Homme fort' des Etats Unis pour designer le président américain Barack Obama. Pourquoi cette discrimination ? Il doit sûrement y avoir une bonne explication.
Nous constatons simplement que lorsqu'on affuble quelqu'un d'un qualificatif, il se fait le devoir d'agir de sorte à le mériter, surtout quand il se met à l'idée, pas toujours à raison, que c'est un symbole de gloire, de grandeur et d'exception. N'est-ce pas en partie ce qui fait croire à certains dirigeants qu'ils sont indispensables ? Ce nouveau départ nous donne une occasion, inespérée de sitôt, de nous interroger, de faire notre propre introspection afin d'extirper de nos habitudes et pratiques quotidiennes tout ce qui peut conforter les hommes au détriment du peuple et des institutions. Au demeurant, comme on l'aura démontré au Burkina Faso, il n y a pas d'hommes forts qui tiennent devant un peuple fort, et il n y a pas d'institutions fortes s'il n'y a pas de peuples forts pour poser les jalons de ces institutions, dans la durée.
Il en est de même des termes « Enfant terrible de … » Quelques mots de la même famille que terrible : terreur, terroriste, terroriser…Notre histoire très récente nous a montré comment l'Enfant terrible de Ziniaré s'est cru le devoir d'être à la hauteur du qualificatif en semant la terreur autour de lui, au point d'enfermer des députés du peuple dans un hôtel pendant de longues heures, dans l'intention de les canaliser par la suite pour aller voter une loi scélérate. On séquestre des députés du peuple (il semble que c'était pour les protéger), donc on 'protège' des députés du peuples contre le peuple pour aller voter une loi sensée faire le bonheur du peuple. A en croire les journalistes du quotidien L'Observateur Paalga qui ont passé la nuit du 29 au 30 octobre à l'hôtel Azalai, c'est en grommelant et la peur au ventre que certains de ces députés y on passé la nuit, une nuit blanche. Nous sommes de ceux qui pensent qu'au Burkina, et ce depuis le début de la 4e République, nous n'avons pas d'élus du peuple mais des nominés de responsables de partis politique. Nos dits ‘élus' du peuple doivent leurs postes, moins à leur popularité et à électorat qu'à leur chef de parti qui les aura placés 1er, 2e ou 3e … de liste. Et là, tous les partis politiques, tant de la Majorité que de l'Opposition s'en accommode. N'est-ce pas là le meilleur moyen de faire de ces députés des obligés ? Cette renaissance en cours au Burkina Faso doit être mise à profit pour corriger cette aberration, en encourageant les candidatures indépendantes, entre autres.
Il y a aussi cette autre pratique entrée dans les habitudes, pas seulement au Burkina Faso, qui consiste à se référer aux épouses de Chefs d'Etat en termes de « Premières Dames ». La question, quelles sont les critères sur lesquelles se fonde-t-on pour classer les dames ou les hommes dans un état laïc et égalitaire ? Et qui sont les 2e, 3e, … Dames ? Ce sont des pratiques qui occasionnent des abus, des excès et des situations désobligeantes. Quand des ministres de la République ou des élus du peuple se croient obligés de se transformer en porte valise ou porte sac-à-main de Premières Dames, l'on est tenté de se poser la question tant chérie par nos amis les ivoiriens : « On est où là ? » Il serait intéressant de savoir quels qualificatifs seraient utilisés pour les femmes Chefs d'Etat (la Forte Dame ou la Dame Forte de ???) et pour leurs époux (les Premiers Hommes ou les Premiers Gentlemen de ???)
Et que dire de la place et du rôle de nos notabilités coutumières et religieuses ?
A la veille des élections couplées de 2012, nous avions publié un article dans deux quotidiens de la place sous le titre « Elections couplées du 02 décembre 2012 : une occasion en or pour consolider notre démocratie si … »
Nous reprenons un extrait de cet article ici, car nous sommes persuadée que pour la présidentielle et les législatives à venir, nous risquons de vivre les mêmes pratiques que par le passé, les habitudes ayant toujours la peau dure.
« La question de la place et du rôle des chefs coutumiers dans un Etat multiethnique, moderne et laïc est, depuis belle lurette, objet de débats. En attendant que des réflexions plus poussées proposent des solutions idoines, nous pensons qu'il serait bien sage que ces derniers cultivent une certaine réserve et se positionnent au dessus de la mêlée. Dans toutes les régions de notre pays, des chefs coutumiers existent, avec une importance, des rôles et responsabilités variant selon le type d'organisation de la société. Mais ce qui demeure une constante, ce sont eux le ciment social, les repères, les derniers recours. Ils sont les GRANDS CHEFS DE FAMILLE qui n'ont pas le droit d'avoir une préférence quelconque pour l'un ou l'autre de leurs enfants, encore moins le manifester publiquement. Notre histoire récente atteste que si nous avons pu préserver une relative paix sociale, c'est grâce aux responsables coutumiers, aux leaders religieux et d'opinion et à certaines fortes personnalités connues pour leur intégrité et sens de responsabilité.
Avec toute la considération due aux animateurs et animatrices de notre classe politique, nous pensons qu'elle rendrait un véritable service à la démocratie en évitant d'instrumentaliser notre richesse commune, les notabilités coutumières et religieuses. Faisons en sorte que dans les situations difficiles, nous ayons toujours des ressorts et des recours en qui les citoyens ont foi, des personnes « créditées de vertus, d'intégrité et de droiture morale, et surtout d'impartialité ». Ce sont ces qualités, que du reste nos responsables coutumiers et religieux doivent tout faire pour préserver, qui font d'eux des symboles de cohésion sociale, de cohésion nationale. Si les électeurs / électrices ont une claire conscience qu'un chef de famille n'a pas le droit d'avoir de préférence parmi ses enfants, alors seul(e) dans l'isoloir, ils / elles voteront selon leur conscience »
Nous poursuivons ici pour dire que la navette de tous les protagonistes de la crise que traverse notre pays chez les plus hautes autorités morales de notre pays en est un vibrant témoignage. Nous suivons avec intérêt et saluons le fort plaidoyer que le Professeure Albert Ouédroaogo mène depuis longtemps dans ce sens.
Faisons en sorte à préserver et a respecter ce que nous avons de plus précieux : autorités et notabilités coutumières et religieuses, leaders d'opinion et autres personnes de ressources, « nos ressources propres, de sagesse, d'expérience dans la gestion des hommes, dépositaires de nos valeurs spirituelles, culturelles et morales »
Que Dieu nous préserve de situations ou nous serons contraints de recourir aux ressorts sociaux et spirituels des autres, tout simplement parce que nous aurons suffisamment dévalorisé les nôtres ou que nous les aurons discrédités à travers les instrumentalisations politiques à outrance en cours depuis quelques temps.
Cynthia Benao
benao_cynthia@yahoo.com
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