Héros de l'insurrection populaire : Hermann Bado

Publié le mercredi 12 novembre 2014


Hermann Bado, jeune cadre (32 ans) dans une société de télécom de la place, n'avait que cinq ans lorsque Blaise Compaoré prenait le pouvoir le 15 octobre 1987. Et quand douze jours plus tard, le 27 octobre, des militaires du nouveau régime décidèrent de mater dans la violence la tentative de rébellion du Bataillon d'Intervention Aéroporté (BIA) à Koudougou dirigé à l'époque par Boukary Kaboré dit le lion ; les parents de Hermann qui vivaient dans la cité du Cavalier rouge, ont dû gagner, lui dans le dos de sa mère, la brousse pour échapper aux balles. Le rescapé civil du drame du 27 octobre 1987 a tenu aujourd'hui non seulement à prendre part de bout en bout aux événements des 30-31 Octobre 2014 mais aussi à en témoigner dans le strict souci, dit-il, de rétablissement de la vérité. Interview exclusive.




Lefaso.net : Quels sont, présentement, vos sentiments ?


Hermann Bado : Depuis 12 jours, je n'arrête pas de penser aux événements que notre pays a connus. Je pense particulièrement aux militaires lourdement armés qui gardaient par exemple la place de la Révolution le 30 Octobre dernier. Je ne cesse d'y penser parce que si ces messieurs avaient choisi ce jour-là d'ouvrir le feu comme d'autres l'ont fait ailleurs, je ne serai même pas là pour témoigner de ce qui s'est passé. C'est un phénomène profondément ancré dans ma tête et du coup quand je vois la tournure actuelle des événements, un certain nombre de personnes qui monopolisent la parole pour dire des choses qui à mon sens sont un peu inexactes. Cela me laisse penser que ce n'est peut-être pas fini. Il faut être extrêmement vigilant par rapport à ce qui se passe. Il y a des gens qui ont perdu la vie dans cette affaire-là. On a eu peut-être plus de chance, pas parce qu'on a été plus héroïque que d'autres. On a eu beaucoup plus de chance, c'est pour cela qu'il faut réellement que la vigilance soit plus accrue. Il faut avoir l'œil ouvert pour que les choses se terminent bien. Je pense que tout ce qui a été fait l'a été pour le triomphe de la vérité. Il est donc bon d'éviter les récupérations pour ne pas réunir, sans le savoir, les conditions pour que les mêmes erreurs se répètent à l'avenir.


Vous avez pris une part active aux événements des 30-31 octobre et même du 2 novembre 2014. Quelles étaient vos motivations ?


Pour moi, tous ceux qui sont sortis lors de ces événements sont des Burkinabè qui avaient mal quelque part. Personnellement, depuis 1987 on a raconté un certain nombre de choses sur Koudougou. On a dit c'était une ville rebelle. Mais, en fait, c'est une ville de la vérité. Voyez-vous, depuis les événements du 27 octobre 1987, on a été fortement ébranlé dans cette ville. En tout cas, en ce qui concerne les miens, on a été terrifié. Quand les gens voyaient à la télé des Rwandais rejoindre la brousse avec leurs matelas à la tête, pour certains, c'était des faits divers. Mais, à Koudougou ce sont des choses que nous réellement vécues en 1987. Avec tous les mensonges qu'il a eus après, on n'était plus vraiment en odeur de sainteté avec le régime Compaoré. Malgré tout, on espérait que la sagesse allait l'emporter et qu'il allait se retirer. Donc, quand l'occasion s'est présentée, personnellement, je n'ai pas trop réfléchi aux conséquences éventuelles, il fallait poser des actes pour que les députés ne votent pas, c'est tout. Aux côtés de ceux qui étaient déterminés pour que les députés ne votent pas afin d'assurer l'alternance il y avait ceux qui voulaient réellement en découdre et qui ont brûlé. L'autre groupe, minoritaire, était constitué de pilleurs. Cela dit, la plupart des Burkinabè qui étaient là avaient mal quelque part et voulaient qu'il y ait un peu plus de vérité dans le pays. Je pense que la démocratie et la vérité sont des choses qui peuvent être merveilleusement conjuguées. Ce que l'on ne voyait pas en fait au Burkina Faso.




De quel groupe êtes-vous, des politiques ou des acteurs de la société civile ?


Je n'avais pas de parti pris comme bien d'autres. Je pense que beaucoup étaient mus par la vérité. S'il y a eu manipulation des gens, cela l'a été par le fait de la vérité. Aujourd'hui tout le monde reconnaît que ni la société civile, ni les partis politiques ne peuvent revendiquer la paternité de ce qui s'est passé ; personne à ce que je vois, ne tente de le faire. C'était quelque chose de spontané et chacun a fait ce qu'il avait à faire. Il y a des gens qui ont été courageux dans ce qui s'est passé et ils y ont laissé la vie. Les gens sont sortis parce qu'ils avaient soif de la vérité, ils voulaient qu'il y ait un peu plus de vérité dans la gestion du pays, c'est tout.


Comment se sont passées les choses ?


Les événements se sont succédé de façon extraordinaire. Aujourd'hui il réalise à peine l'étendue des actions qu'on a menées. Moi j'étais à la place de la Révolution le 30 octobre le matin vers les 7 h 30, quand les blindés tentaient de boucler les lieux. J'étais parmi les dix ou vingt premiers à pénétrer dans le Parlement ce jour-là ; puis après j'étais encore parmi les dix premiers à être à la télévision nationale. Plus tard lorsque le Lieutenant-Colonel est venu avec une partie du Balai citoyen pour annoncer la suspension de la Constitution, j'étais également sur place, tout comme à Ouaga 2000 quand le groupe, qui était allé voir le président Compaoré, est revenu nous dire de nous calmer car le président allait faire un discours le soir pour annoncer sa démission. C'était le soir du 30 octobre. J'ai pris part à tous ces événements et à ce qui s'est passé le 2 novembre 2014 à la RTB avec Saran Sérémé.


Vous l'avez dit, vous étiez parmi les 10-20 premiers à pénétrer à l'Assemblée nationale. Comment les choses se sont passées à ce niveau-là ?


Les choses sont allées très vites. J'ai une voiture mais ce matin du 30 octobre je suis venu à moto à la place de la Révolution pour prendre part à la manifestation. Il y avait déjà beaucoup de blindés mais j'ai vu aussi une foule importante qui convergeait vers la place. J'ai juste eu le temps d'appeler mon épouse pour lui dire qu'il y avait un certain nombre de choses qui allaient se passer en ville, de continuer à prier pour le pays et que pour ce qui me concerne si plus tard les choses se calmaient j'allais la rappeler. Je me suis ensuite défourré et je me suis mis en position de combat. On avait commencé à crier et à dire aux militaires de dire aux députés que nous arrivions. Les gens étaient gonflés à bloc. Tout de suite les militaient ont commencé à mater. Le gaz a commencé à pleuvoir. Mais, en face il y avait une foule suffisamment compacte qui tenait impérativement à arriver au Parlement. Mais, c'est l'occupation du rond-point des Nations-Unies qui a été déterminante. Quand les gens ont réussi à tenir jusqu'à ce niveau, on s'est dit que les forces de l'ordre ne pouvaient plus résister encore longtemps malgré l'usage inapproprié des produits chimiques. A partir de ce moment, on s'est dit que c'était une question de minutes maintenant, qu'on avait le Parlement à portée de main. Les journalistes étaient là en train de filmer. On s'est dit qu'on avait là un coup à jouer. Si on voulait être plus crédible, l'on ne devrait plus lancer des pierres. On a alors suggéré aux gens de ne plus lapider mais de lever les mains et d'avancer le plus vite possible vers le Parlement. Et c'est ce que la plupart de ceux qui étaient devant ont accepté de faire. On a vu qu'à partir de ce moment, tous les militaires ont essayé de contrer. Ils faisaient un bruit assourdissant mais n'avaient plus recours aux gaz et aux produits chimiques. Quand on est rentré dans le Parlement, il y avait une voiture 4X4 qui était à la porte et à droite des voitures neuves stationnées. Le bâtiment était encore intact. Mais, je vous l'ai expliqué, dans le groupe il y en a qui en avait gros sur le cœur et qui tenait peut-être à aller jusqu'au bout et à marquer un impact décisif dans la suite des événements. Ils ont tenu aussi à lapider et à brûler. Ce sont des phénomènes qui peuvent arriver même si, personnellement, incendier ne semblait pas l'option qui restait puisque dans tous les cas on avait le Parlement et la cause était entendue à partir de ce moment-là. Quand le Parlement est tombé, vu l'ampleur du mouvement et ce que cela représentait, pour moi, clairement, le président ne pouvait plus rester en place. Parce qu'un président qui est désavoué de cette manière-là, je pense qu'il ne pouvait plus légitimement prendre la parole pour suggérer quoi que soit. Il lui fallait dignement présenter déjà sa démission à partir de ce moment. Mais, on a vu tout de suite qu'il n'y avait pas la RTB (ndlr, Radiodiffusion Télévision du Burkina). C'était quand même de notoriété publique que la RTB n'était pas très neutre dans sa manière de traiter l'information liée à l'article 37. Comme on ne voyait même pas les journalistes de la RTB filmer ce qui se passait, on a été un groupe d'une dizaine de personnes qui a alors décidé d'aller à la RTB pour leur demander de venir filmer ce qui se passait. C'est là que d'autres personnes ont décidé de suivre. Une centaine de personnes qui ont suivi automatiquement et ont été stoppées à la porte parce que certaines personnes avaient commencé à lancer des pierres. D'autres ont même bousculé un des journalistes de la RTB à la porte. On leur dit que le mouvement n'est pas dirigé contre des individus. Parce que, ce pour quoi on a lutté, c'est l'arbitraire. S'en prendre à des individus de la sorte ne me semblait pas quelque chose de très pertinent à faire. Quand on était rentré à la RTB, on a vu le directeur de la RTB, Alfred Nikièma qui était là et à qui on a demandé s'il ne fallait pas organiser un direct pour filmer les événements. Il a dit que les techniciens sont partis et qu'il ne pouvait rien faire par rapport à cela. On a essayé de négocier avec Emile Paré qui était là avec nous mais visiblement le directeur Nikièma n'avait pas la solution en fait et on a laissé tomber. Mais, juste après, la foule a pris d'assaut les lieux. A partir de ce moment, les militaires ont commencé à tabasser tout le moment. Et c'est de là qu'ont été prises les photos qui ont fait le tour du monde. Quand les gens sont rentrés en grand nombre dans la cour de la RTB ils ont tenu à saccager les choses. Personnellement, je suis resté dans l'enceinte de la RTB au niveau du studio où on fait le journal télévisé. J'étais avec un monsieur du Balai qui expliquait aux gens que c'était un peu plus acceptable de s'en prendre aux vitres qu'à cette pièce qui, si elle était détruite avec son matériel, ne permettrait plus à la RTB d'émettre. Nous étions trois dans le studio à empêcher le saccage du matériel du studio. C'est une des raisons qui a permis à la RTB de redémarrer le lendemain, même si elle ne fonctionne pas encore pleinement.


Donc, c'est parce que la RTB n'a pas accédé à la requête de couvrir les événements que son matériel a été saccagé…..


C'est l'une des explications. S'ils étaient sortis spontanément avec une caméra pour montrer qu'ils comprenaient le mouvement populaire qui était en cours, on allait demander aux gens à ne pas s'attaquer à ce bien public parce qu'en réalité c'est quand même la télé de tous les Burkinabè. Elle n'appartient pas à un individu ou à un groupe de journalistes donnés. Je regrette vraiment les casses qu'il y a eues. J'espère que ceux qui ont pris des choses, pourront les ramener rapidement pour que les choses puissent revenir à la normale à la RTB.


Vous étiez aussi à la place de la Révolution le lendemain 31 octobre. Quel témoignage pouvez-vous faire à ce niveau ?


Le lendemain vers 10 h, je suis revenu à l'état-major de l'Armée où les noms d'un certain nombre de personnes dont celui du Général Lougué étaient évoqués pour prendre la tête de la transition. Mais, personnellement, je n'avais pas de choix. Je me disais que peut-être le choix pertinent qui pouvait être fait, c'était de faire en sorte qu'un civil, ne serait-ce pour l'image du pays à l'extérieur, puisse diriger la transition. Parce que les mêmes qui trouvent qu'au Burkina on a mal fait de mener cette Révolution, ont les mêmes ambitions. Laisser une transition militaire se mettre en place tout de suite comme cela, cet exemple peut être utilisé pour dissuader les autres de faire la même chose. Ils vont dire que même si vous chassiez ou empêchiez un président de se présenter, c'est l'armée qui va prendre sa place. Mais, je tiens à préciser personnellement qu'il n'y a pas lieu de stigmatiser l'armée du Burkina Faso, même si certains militaires ont eu à utiliser des balles réelles à certains endroits de la ville. Comme je vous l'ai expliqué tantôt, si ceux qui tenaient le Parlement avaient obéi aux ordres, je ne serais pas là pour vous parler aujourd'hui. On a quand même une armée qui est intègre. Et ce qu'ils ont fait dès le 31 octobre visait à combler un vide du pouvoir, un pays ne pouvant pas être sans dirigeant. C'est ce mérite qu'il faut leur reconnaître. S'ils ont eu à prendre leurs responsabilités et ils sont prêts aujourd'hui à rendre le pouvoir aux civils, prouvent qu'ils sont animés d'une certaine bonne foi. Il faut donc saluer l'action qui a été menée. Le 31 Octobre, j'étais donc à l'état-major de l'armée quand la foule scandait les noms d'un certain nombre de personnalités qu'elle voulait à la tête de la transition. Une partie de l'opposition y était. J'ai vu notamment Zéphirin Diabré, Simon Compaoré, Bénéwendé Sankara. Ils faisaient des signes qui semblaient montrer qu'ils avaient obtenu le départ de Blaise Compaoré, que c'était fini, en disant aux gens qu'ils pouvaient se retirer. Mais, les gens tenaient à rester pour savoir le nom du nouveau président. Plus tard, on a demandé aux gens d'aller à la place de la Révolution pour une déclaration. Quand on y est allé, j'ai vu Smockey que j'ai reconnu qui est venu avec Zida pour annoncer la suspension de la Constitution. Il est vrai que sur le coup on n'a pas compris. Quand on a dit que la Constitution était suspendue, les gens ont aussitôt crié sans comprendre réellement ce que cela voulait dire. C'était l'effet de foule et cela montre aussi que ce n'était pas un mouvement manipulé par quelqu'un. Les gens étaient dans une action spontanée, ils voulaient des résultats, et étaient plus ou moins réceptifs à ce que les uns et les autres disaient sans y réfléchir au fond. Les militaires sont venus faire les annonces nécessaires et sont repartis. Voilà, c'est ce que j'ai pu voir et entendre dans la journée du 31 octobre.


Quelle a été la suite des événements ?


Personnellement, je pense qu'il fallait passer à autre chose. Parce que pendant 27 ans, il y a eu les mêmes approximations. On a tenté de faire avancer les choses mais toujours est-il que la vérité n'a jamais su véritablement germer pour que la gestion des affaires puisse permettre à ceux-là réellement qui avaient des douleurs en eux-mêmes puissent tourner la page et faire autre chose. C'est pourquoi je ne voulais pas me faire conter les événements. Et j'ai suivi ce qui s'est passé le samedi 1er novembre. Il y a eu ainsi un certain nombre de déclarations d'acteurs politiques. Vous vous souviendrez que dans la matinée du 1er novembre le Chef de file de l'opposition (CFOP) a fait une déclaration qui avait reconnu le pouvoir militaire de Zida et le principe d'un pouvoir militaire semblait acquis pour le CFOP. Mais, plus tard dans la soirée une réunion se tient au CFOP et c'est Jean Hubert Bazié qui lit un communiqué pour dire que l'opposition n'était pas d'accord avec le pouvoir militaire et appelait les gens le lendemain dimanche à une manifestation. Cette ambiguïté ne faisait pas très sérieux. C'est de bonne guerre les tractations, mais l'on ne peut jamais savoir l'impact d'une déclaration de ce genre. Il faut noter aussi la déclaration des sankaristes notamment celle de Me Sankara qui dès la soirée du 31 octobre disait qu'il voulait que les civils dirigent la transition et celle de Roch Marc Christian Kaboré le lendemain qui disait aussi être pour une transition civile. Les différents acteurs politiques devraient pouvoir assumer jusqu'au bout mais leurs déclarations ont participé aussi plus ou moins à la confusion à laquelle l'on a assisté. On est peut-être en train d'en sortir mais toutes les prises de positions que les uns et les autres ont eues prouvent qu'il nous faut être extrêmement vigilant. Parce qu'on a une garantie de changer de président mais on n'a pas la garantie d'avoir un véritable changement dans la gestion des affaires telle qu'elle va se faire après. Visiblement, l'on a l'impression qu'il y a juste une envie de jouir d'un cadeau qui est là et non pas une envie d'aller dans le sens de la volonté populaire. Ceux qui ont eu le courage tout de suite dans leurs premières déclarations de dire qu'ils souhaiteraient que la transition soit civile ont ce mérite d'avoir eu une attitude de clarté. C'est vraiment à saluer. Je pense que les autres acteurs devaient pouvoir aller dans le sens de la clarté.


Vous étiez aussi à la Place de la Révolution le dimanche 2 novembre...


Le lendemain dimanche quand on était à la place de la Révolution et que la foule a commencé à exalter, il y a un certain nombre d'acteurs qui sont venus pour expliquer aux gens qu'en réalité ils ne souhaitaient pas qu'il y a ait une transition militaire et que l'opposition en fait devait faire une proposition parce que ce sont leurs tergiversations depuis des jours qui font qu'on en est là. Qu'on pouvait bien reprocher des choses aux militaires mais on ne pouvait pas leur reprocher leur réactivité. Parce qu'eux au moins ils avaient compris qu'un pays ne pouvait même pas faire un seul jour sans dirigeant. Toutes sortes de choses peuvent se passer si le pays fait des jours sans être dirigé. Même des gars qu'on voit civilisés peuvent brusquement devenir des violeurs impitoyables, cela tout simplement parce que le pays n'est pas dirigé. Cette lenteur dans les discussions des politiques n'était pas normale. Les gens devaient pouvoir mener des tractations et demeurer réactifs. Il y a un certain nombre de choses qu'ils auraient dû faire plus vite pour nous permettre d'aller de l'avant. Je pense que ce sont des choses qu'ils peuvent toujours rattraper en ne nous laissant pas permanemment dans l'attente parce que l'on ne sait jamais ce que cela peut donner. Quand il y a le vide, tout peut arriver. Comme on dit, la nature a horreur du vide. Il faut vraiment regretter cette lenteur.

Et quand on était à la place de la Révolution le dimanche et que les gens ont commencé à dire qu'il fallait une transition civile, Jean Hubert Bazié est venu expliquer qu'en réalité ils ont demandé aux gens de sortir pour les informer des tractations qui étaient en cours. Mais, les gens étaient catégoriques, ils ne voulaient plus entendre parler de CFOP qui fait de tractations parce que depuis les jours qu'ils font les tractations, c'est ce qui fait que la situation est devenue de plus en plus complexe. Ils étaient gonflés à bloc. Je pense qu'on a frôlé une deuxième insurrection dans l'insurrection qui était en train de se passer. La Place de la Révolution était quand même pleine. On a estimé à près de 10 000 le nombre de personnes qui étaient là à ce moment précis. Les gens ne voulaient plus entendre parler de tractations qui se poursuivent à l'infini alors qu'il n'y a pas de propositions concrètes, il n'y a pas un nom qui est donné. C'est là que, plus tard quelqu'un est venu prendre le micro pour demander aux gens de se patienter parce que l'opposition est en train de se concerter, qu'ils vont revenir avec un nom parce qu'ils ont un certain nombre de noms dans leur chemise, qu'ils sont en train de négocier avec les militaires et qu'un nom allait sortir. Et parmi les deux ou trois noms cités, il y avait celui de Saran Sérémé. Une fois que la foule a entendu Saran Sérémé, c'était fini. Les gens ont commencé à scander ‘'Saran présidente'', ‘'Saran présidente''. Mais, elle-même n'était plus présente. C'est plus tard qu'elle revenue dans une voiture avec une députée de l'UPC. Quand elle est arrivée sur place, tout s'est emballé. Les gens l'ont saisie pour la faire monter sur l'estrade pour l'inviter à prendre sur le-champ ses responsabilités pour assurer la transition. C'est là qu'elle a pris le micro pour essayer d'expliquer la situation. Elle a dit qu'elle était honorée pour le choix porté sur elle mais qu'il fallait aller au CFOP pour voir la suite à donner à leur choix. Elle a ajouté en substance que si elle faisait une déclaration de cette manière, c'est comme si elle trahissait l'opposition. Une fois qu'elle a déposé le micro, c'était de plus en plus emballé. Les slogans ‘'Saran présidente'', ‘'Saran présidente' montaient en crescendo. Une fois qu'elle est rentrée dans sa voiture, les gens ont commencé à pousser le véhicule. Nous on est descendu de l'estrade, on a devancé la foule en direction du CFOP. Mais, on a vu que la foule n'avait pas pris la direction du CFOP mais se dirigeait vers la RTB. Etant parmi les premiers à arriver à la RTB, on a essayé d'expliquer aux militaires qui étaient là la nécessité de prendre des dispositions pour éviter ce qui est arrivé le 31 octobre. Alors qu'on vient de nous annoncer la venue de Saran Sérémé, on voit une autre voiture qui pénètre dans l'enceinte de la RTB. Pour moi, c'est Saran Sérémé qui avait changé de voiture et qui était en train de rentrer. Mais, en fait, c'était la voiture du Général Lougué qui venait d'arriver. On ne comprenait plus ce qui se passait puisque les occupants du véhicule de Général Lougué se sont dirigés vers la salle de studio. C'est après que la voiture de Saran Sérémé est rentrée dans la cour de la RTB avec quelques éléments qui ont réussi à franchir la barrière. C'est là que j'ai suggéré aux militaires qui étaient là que pour la sécurité de la bonne dame, c'était mieux qu'elle descende du véhicule. Ils ont accepté d'ouvrir les portières pour qu'elle descende. Quand elle est descendue il y avait au moins une dizaine de personnes qui la tenaient et les gens continuaient de scander « Saran présidente » ; « Saran présidente ». On l'a emmenée au niveau du studio. Tous les journalistes étaient là et avaient positionné leurs micros puisqu'on leur avait dit que Saran Sérémé allait faire une déclaration. Quand on est rentré dans le studio j'ai cherché à comprendre la raison de la présence du Général Lougué dans le studio. C'est là qu'on m'a expliqué en substance que le Général avait déclaré qu'il prenait ses responsabilités au nom du peuple. C'était complètement incroyable. Ceux qui étaient dehors n'écoutaient même pas ce que Saran disait et voilà que le Général Lougué venait de se proclamer président. Nous on était là et on se demandait ce qui allait se passer. Et quand Saran est rentrée dans le studio, elle a essayé d'expliquer qu'elle ne pouvait pas faire de déclaration sans l'aval du CFOP, que si elle faisait de déclaration dans de telles circonstances c'est comme si elle avait trahie toute l'opposition. On a alors demandé à cinq personnes de sortir expliquer la situation aux manifestants. Quand cela a été dit, il y avait deux ou trois personnes qui étaient disposées à sortir pour parler. Je leur ai dit de se rappeler de ce qui s'est passé à la place de la Révolution quand Bazié a dit aux gens de rentrer chez eux, que ceux qui allaient sortir pour parler risquaient de se faire lapider. Je leur ai dit que la meilleure démarche à entreprendre, c'était qu'elle-même sorte et essaie de calmer la foule. C'est là qu'au bout de 15 minutes, puisqu'elle avait déjà passé trente à quarante minutes à débattre et à expliquer aux gens qu'elle ne pouvait pas faire de déclaration, que le principe de sortir elle-même pour parler a été accepté. Pour ma part, c'est la première fois que je parlais à Saran Sérémé, je la voyais à la télé mais je n'avais pas encore eu l'occasion de lui parler. Je ne peux donc pas donner un point de vue qui puisse l'arranger mais ce sont les faits tels que je les ai vécus et je tiens à ce que les gens comprennent ce qui s'est passé. Pour ma part, quelqu'un qui est venu pour faire une déclaration, ne peut pas passer une quarantaine de minutes à débattre, à demander aux gens d'aller au CFOP, de faire ceci ou cela. Finalement, elle a accepté à un moment donné de sortir dans la cour pour expliquer aux gens qu'elle ne pouvait pas faire de déclaration sans l'accord des autres membres de l'opposition. L'on a commencé à assister à une grande bousculade. On a compris après que c'était un groupe de militaires qui venaient d'arriver sur les lieux et qui ont commencé à faire des tirs de sommation de façon impressionnante. Tout le monde s'est dispersé à partir de ce moment-là. J'ai vu à un moment que Saran a été violemment bousculée au point qu'elle a failli tomber, je ne sais pas si elle est réellement tombée. Et puis finalement elle est retournée s'abriter dans le studio. Voilà, globalement comment les choses se sont passées. Quand plus tard, dans la soirée ou le lendemain, j'entends un certain nombre de personnes proférer des insultes sur les événements qui se sont déroulés à la RTB avec Saran Sérémé. Je ne pense même pas quand en termes de récupération, ce soit une stratégie très intelligente à adopter que de parler de comportement stupide. Même si le but, c'est de désavouer quelqu'un et de permettre à l'opinion peut-être d'avoir un focus sur ceux qui parlent plus, je pense que la méthode n'y est pas trop. Je pense qu'ils devraient peut-être aller dans le sens de rassembler les uns et les autres pour que l'on sorte de cette situation d'impasse. Les positions extrêmes que l'on voit et qui tendent à tout critiquer et à envoyer tout le monde se balader. Les mêmes qui se sont pris violemment à Saran Sérémé, je vois qu'ils s'en sont pris aussi au Balai Citoyen en les traitant comme étant des gens qui veulent se montrer plus malins que les autres. Chacun peut avoir ses tractations en cours. C'est de bonne guerre parce que nous sommes en politique. Mais, une fois qu'on prend la parole en public, il faut faire extrêmement attention de ne pas créer plus de problèmes qu'on en a déjà. Il faut tenter peut-être de rassembler davantage plutôt que de détruire. Alors que ce pays-là, on a tous peut-être à cœur de le bâtir. C'est triste en fait de voir qu'ils y en a qui tentent désespérément de faire de telles formes de récupérations mais je pense qu'ils s'y prennent très mal.


Ce que vous aviez vécu au cours de ces événements, si c'était à refaire, le feriez-vous de nouveau ?


Personnellement, je ne regrette pas ce qui s'est passé. Parce que celui qui a autorisé qu'on nous terrorise le 27 octobre 1987 à Koudougou n'est plus président. Et pour moi, c'est quelque chose de très important. Pour montrer à tel point il y avait cette soif de vérité au sein de la population de Koudougou, des habitants de cette ville ont rallié par centaines Ouagadougou pour prendre part aux manifestations. Quand ils ont appris qu'il y a eu des tirs à balles réelles à Ouaga et que des gens étaient morts, ils ont dit qu'ils ne pouvaient pas rester à Koudougou pendant que les gens se faisaient tuer à Ouaga et qu'ils devaient venir aussi payer le prix. Les gens sont donc venus par cars pour participer à cette bataille finale. Cela prouve que la soif de vérité était extraordinaire. Moi, la seule chose que je regrette, c'est qu'il y ait eu des morts. Je pense beaucoup à eux. L'on doit leur rendre hommage. A mon humble avis, l'on ne devrait pas trop trainer avec les questions d'indemnités et autres parce qu'il y avait beaucoup d'argent pour organiser le referendum. L'on peut déjà commencer à indemniser les familles qui ont perdu des membres au cours de ces événements. Il y a des gens qui ont perdu leur papa dans cette affaire et j'imagine qu'ils doivent être dans une situation très difficile. Il faut prendre les mesures nécessaires pour s'en occuper. Aussi le monument des héros à Ouaga 2000 en face de la Présidence doit être dédié au 30 Octobre et que ce jour peut devenir un autre jour férié au Burkina Faso. Ce que je déplore aussi dans ces événements, c'est que des individus ont été ciblés en tant que tels et leurs biens ont été pillés ou saccagés. Ce sont des phénomènes que l'on peut observer quand une foule est hors de contrôle. Mais, si tout le monde essaie de mettre du sien, l'on devrait pouvoir dépasser ces difficultés. L'ADF/RDA par exemple a appelé au pardon. Je pense que c'est un bon début. Si les autres ont aussi cette attitude d'humilité de reconnaître peut-être que la manière n'y a pas été et que cela nous a précipité dans cette situation, je pense que cela peut aider à panser les plaies et les uns et les autres peuvent trouver peut-être des raisons de tourner la page pour que nous puissions aller de l'avant.


Entretien réalisé par Grégoire B. Bazié

Lefaso.net





via leFaso.net, l'actualité au Burkina Faso http://ift.tt/1pRVHHt