Médias : Un journaliste interpelle la présidente du CSC sur certaines publicités

Publié le mardi 17 mars 2015

Madame la présidente,




Permettez-moi de m'adresser à vous au « je ». Parce que le présent écrit m'engage à titre personnel. J'ai longtemps espéré une réaction des organisations et associations de journalistes mais hélas ! Cet écrit vient vous interpeller sur les spots publicitaires signés « CSC » qui sont diffusés sur les antennes de la télévision nationale. J'aurais aimé vous tenir ces propos dans un autre cadre mais comme vous avez décidé de laver notre linge sale en public, hé bien allons-y.

Madame la présidente, oui, je suis d'accord qu'il y a des médiocres, voire des nuls dans le monde des journalistes au Burkina. Cela est indéniable.


Je suis aussi d'avis que sortir d'une école de journalisme ou être nanti de gros diplômes ne fait pas systématiquement d'un homme un super journaliste. Il faut savoir faire la part des choses entre le livresque académique et la réalité du terrain.

Je suis d'accord avec vous que des journalistes ne prennent pas le soin de vérifier l'information (un des principes cardinaux du métier) avant sa diffusion et font du sensationnel leur fonds de commerce (puisque le public non averti en raffole).

Je suis d'accord que le journaliste a un devoir de vérité et d'impartialité dans sa démarche et que le non-respect de ces prescriptions fait entorse au métier et expose son entourage, voir son pays à de graves dangers.

Je m'arrête là pour ne pas verser (comme vous le faites déjà à travers vos messages diffusés sur la chaine de télévision nationale), dans l'exposition des problèmes internes à la profession…


Madame la présidente, quelle est la cible des messages que votre institution lance à travers les spots ? Qui voulez-vous interpeller ?

En principe, je ne devrais pas vous poser cette question parce que tout message s'adresse à un public bien défini et par conséquent, il est superflu qu'on en pose la question. Mais La formulation de votre message rend la définition de la cible difficile. Et c'est là que se pose le premier hic.


Vous vous adressez aux journalistes ; admettons-le. Mais le choix des outils aurait pu être plus judicieux. Cette manière de procéder peut porter préjudice à vous à titre personnel, à votre organe en tant que régulateur et à l'ensemble du corps des journalistes. J'estime qu'en tant que journaliste de formation, le premier reflex que vous auriez eu lorsque vous constatez des manquements dans l'exercice de la profession par vos paires, est de chercher à rectifier le tir à l'interne. Une circulaire, soit-elle une de plus de votre institution adressée à chaque organe de presse pourrait bien servir d'outil d'interpellation. Une des valeurs du journalisme est l'acceptation de la critique constructive et bien faite, vous le savez, voilà pourquoi les rédactions sérieuses sacralisent ce qu'on appelle « conférence de rédaction ». À ce titre, vous pourriez vous comporter en « grande rédactrice en chef » de l'ensemble de la presse burkinabè et appeler vos paires à une « meilleure pratique », si tant est que vous estimez que la pratique actuelle n'est pas bonne. Une démarche participative hérisserait moins et trouverait bien l'adhésion de vos anciens confrères.

Vous vous adressez au grand public aussi, soit ! Mais à mon avis il n'en a pas besoin. Je crois et je respecte la grande maturité de ce public. Je crois en sa capacité de détecter par lui-même le sérieux et le divertissement, le vrai et le faux. Ainsi peut-il s'orienter par lui-même vers les médias qu'il estime aptes à le désaltérer de sa soif d'informations. Les médias capables de lui permettre d'exercer sa citoyenneté.


Venons-en maintenant aux conséquences de vos messages.


Vos messages à la télévision produisent les deux effets pervers suivants : jeter davantage le discrédit sur la parole médiatique d'une part et d'autre part, briser la chaine de respect et de confiance existant entre l'homme de média et le public pour lequel il travaille. En effet, en suivant vos spots, le téléspectateur peut avoir la compréhension suivante : les journalistes ne sont pas professionnels et racontent des « conneries (excusez-moi le langage) ». Vous courez le risque de briser le mythe qui entoure les médias alors que l'entretien de ce mythe est nécessaire pour l'équilibre de la société. Il faut que le public ait confiance, foi en quelque chose, si non tout le monde deviendra journaliste, déjà que la tentation de « l'euphorie communicationnelle est grande surtout dans les milieux branchés qui surfent sur les technologies de l'information et de la communication » (Jean Paul MARTHOZ, 2008). Vos messages infantilisent à la limite le journaliste et dégradent de fait son métier.

Comme je le mentionnais plus haut, oui, il y a du « pas bon » dans la presse burkinabè ; mais « le journalisme burkinabè » est assez responsable, ou même « trop » responsable par moment. Dans certains pays de la sous-région l'on emploie les terminologies de « journaux bleus » ou « journaux rouges » pour caractériser une prise de position au-delà des limites professionnelles. Mais la presse burkinabè n'est pas à ces extrêmes.


Alors, madame la présidente, vous cherchez peut-être à interpeller les journalistes sur leur responsabilité sociale. Vous êtes dans votre rôle. Le journaliste doit servir le public en lui donnant les informations et les débats dont il a besoin pour assumer sa citoyenneté. Il doit exercer son rôle de « chien de garde » en contrôlant l'action des autorités et des pouvoirs.


Je suis journaliste. A l'université mes enseignants m'ont appris comment exercer ce métier. Plus tard, mes ainés ont guidé mes pas à la découverte de la réalité du terrain. Aujourd'hui et en référence à ces deux écoles, j'exerce ma plume.

Madame la Présidente, je vous prie donc d'interrompre la diffusion de ces messages (si cela n'est pas encore fait à la diffusion du présent écrit). Publiquement aussi je voudrais vous demande ceci : assoyons-nous en famille et discussion de nos problèmes entre nous.


Bassana Jonas BAZIE,

Journaliste-Reporter





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