« Le Burkina Faso est-il un pays de croyants ? » : réponse de l'Abbé Nérée Zabsonré
De prime abord, la question pourrait offusquer et même choquer les esprits religieux au Burkina Faso. Ce qui s'entend bien. Mais, le « Pays des hommes intègres » est-il si sûr de sa foi, et de quelle « foi » ? Récemment, En Grèce, le pays qui a vu naître la démocratie, le premier ministre a décidé de ne pas prêter serment sur la Bible (ou le Coran, s'il était musulman). En se déclarant athée, il permet aux Africains, profondément religieux, de se poser des questions sérieuses sur leur avenir culturel et cultuel. Que penser de notre pays qui, dans une période transitoire, se prépare à élire son premier président de l'ère post-insurrectionnel ? Et s'il se déclarait athée ?
Le Burkina Faso est un pays religieux : une terre de croyances
Que penserons-nous le jour où le président du Faso prêtera serment sur un texte culturel (et même cultuel) qui fait l'unanimité des chefs traditionnels et religieux de la nation Burkinabè ? Est-ce impossible ? Dans tous les cas, il est indéniable que « la foi en Dieu » est un patrimoine du Burkina Faso ! Que penser de l'inverse ? Et si le chef de la magistrature suprême se déclare incroyant officiellement pour diriger des populations à majorité croyante ? Loin de se projeter dans des chimères, il faudra peut-être y cogiter aujourd'hui. Surtout qu'il y a un vide juridique sur le sujet dans notre Constitution…
En rappel, la question de l'article 37 et du référendum est encore fraîche dans les mémoires. On ne peut occulter (voire nier) que notre Constitution, ne nous a pas aidés à démêler très tôt les risques d'interprétations controversées sur les mandats présidentiels et leurs limites. N'existe-t-il pas encore des zones d'ombre dans les textes qui régissent la vie de millions de Burkinabè ?
Le Burkina Faso, depuis la fin octobre 2014, a entamé des changements à tout point de vue, eu égard aux commissions mises en place pour les réformes envisagées pendant sa « transition ». Pour revenir au sujet du moment, des enjeux se profilent déjà à l'horizon dont principalement les élections d'octobre et leurs lots de quête de suffrages. Une épreuve électorale, en somme, pour vérifier la bonne « santé démocratique » du pays croyant des hommes intègres. Si « la foi » est un patrimoine immatériel du Burkina Faso, cela doit être notifié en principe. A l'heure où tous les peuples (même les minorités) resserrent leurs liens pour s'affirmer afin d'exister, il serait d'un bon ton que les Africains agissent de même, au lieu de plaquer des textes écrits sous d'autres cieux et qui ne reflètent aucunement les valeurs, surtout éthiques, de nos populations.
A la limite, devons-nous exiger clairement que les candidats aux postes à haute fonction, et de responsabilité très élevée, soient réservés à des croyants (Religions Traditionnelles africaines, Islam, Christianisme…) ? Un athée peut-il être candidat à la présidence du Faso ?
Notre Constitution est-elle « croyante » ?
On dit souvent qu'une carte vaut mille mots. Interrogeons notre Constitution elle-même. Au regard des textes relatifs à la croyance nous pouvons lire : « La liberté de croyance, de non-croyance, de conscience, d'opinion religieuse, philosophique, d'exercice de culte, la liberté de réunion, la pratique libre de la coutume ainsi que la liberté de cortège et de manifestation sont garanties par la présente Constitution, sous réserve du respect de la loi, de l'ordre public, des bonnes mœurs et de la personne. » (Article 7) CONSTITUTION DU BURKINA FASO (Loi N° 002/97/ADP du 27 janvier 1997). Un seul et unique article gère les questions culturelles sinon cultuelles relatives à la « foi » d'un peuple de croyants… D'un point de vue qualitatif et quantitatif, force est de reconnaître que ce patrimoine est bien discret et peu étendu pour une valeur suprême dans un pays africain comme le Burkina Faso. La « foi » est bien un patrimoine immatériel du Faso, il reste à l'écrire…
La pensée religieuse au Burkina Faso est basée sur les schèmes traditionnels vécus et appliqués. L'esprit « cultuel » coule toujours dans les veines de tout peuple. On n'a pas besoin de référendum pour inscrire dans notre Constitution le fait que tous les Burkinabè sont croyants par naissance (C'est une évidence pour l'instant). Ceci, pour nous prévenir des Burkinabè d'autres « fibres » (expatriés, diaspora…) qui contreviendraient à cette vérité inscrite dans la chair des « Burkinabè de tradition ». Il n'est pas offensant de se présenter tel qu'on est. Cela peut rendre un grand service aux générations futures. A commencer par celle d'aujourd'hui qui est en perte de repères stables et encourageants. Qui sait si le fameux développement durable que chaque Burkinabè appel de tous ses vœux ne passe pas par une reconnaissance des valeurs intangibles de son existence ici-bas ? Les mânes des ancêtres préexistent à toutes les religions dites révélées qui ont essaimé dans nos contrées africaines. Elles ont véhiculé ces richesses anthropologiques qui font de tout Africain un référentiel (en valeurs universellement reconnues) en la matière.
En quelques mots, on peut reposer la question savante : le président du Faso jure sur quoi pour diriger notre pays ? La Bible ? Le Coran ? Un rituel coutumier (selon la religion qu'il pratique) ? Dans un contexte où tous les peuples s'affirment pour exister pouvons-nous tolérer un vide à ce niveau ? Le prochain président du Faso jurera sur quelles valeurs autres que « républicaines » pour diriger le pays ? Ce n'est pas le choix d'une personne qui développera le Faso, ce sera l'option d'une détermination basée sur des valeurs sûres. Ces valeurs-là commencent par un socle indéracinable, celui de la « foi » Burkinabè, comprise comme une et indivisible ! Serait-ce une intrusion de la religion dans la « démocratie magnifiée » aujourd'hui ? Pas forcément, ce serait une juste affirmation d'un peuple qui met en exergue un patrimoine fondamental. C'est sa foi de croyant pour une nation prospère dans tous les sens. Et pourquoi pas, une nouvelle pratique culturelle et originale où la foi en un unique Dieu régie une cohésion sociale inébranlable et permanente. Les Burkinabè en ont le pouvoir parce qu'ils sont croyants dans leur âme et Africains dans leur esprit. Mais, le sont-ils seulement dans leurs mœurs ?
Plaidoyer pour la reconnaissance d'un patrimoine immatériel au Faso
Faut-il instituer enfin une fête des ancêtres dans notre Nation (Ils ont prié pendant des siècles pour leurs descendants que nous sommes). Aujourd'hui, pouvons-nous avancer dans un futur proche ou lointain sans les valeurs reçues et partagées de nos jours et héritées de nos ancêtres croyants ?
Pouvons-nous augurer que si la foi en Afrique, et particulièrement au Burkina Faso, n'est pas intégrée dans la Constitution, les négro-africains seront condamnés (ou presque) à des errements certains ? La réponse échoit certainement à l'avenir… Nous sommes d'une culture négro-africaine (multiculturelle). C'est une réalité et non pas un choix. Les intellectuels africains, et Burkinabè, sont certes allés à l'« école occidentale » mais une autre école plus stable et garante de nos Institutions africaines est très souvent négligée, voire même combattue. On ne lutte pas contre soi-même. On ne change pas de peau sans conserver l'ancienne non plus. Espérons que le renouveau tant attendu du Burkina Faso tiendra compte de l'âme négro-africaine qui sommeille en nous et qui a besoin d'être mise à contribution à tous les niveaux. Le Burkina Faso a un patrimoine culturel immatériel qui répond bien aux critères de l'UNESCO à savoir traditionnel, représentatif, inclusif et communautaire. Le pays a conservé ses valeurs ancestrales et pourrait bien légitimement en faire une référence première dans ses principes constitutifs. Qui le fera à notre place ?
Le rôle et la place des intellectuels africains dans un renouveau culturel
Prises dans le jeu de la mondialisation et de ces corollaires abasourdissants, les élites africaines n'ont pas toujours su adapter leur profonde foi traditionnelle au modernisme. N'est-ce pas un exercice qu'il faudra désormais capitaliser dans tout projet africain ? Il y a une étude anthropologie (des études certes à réaliser) appliquée qui manque au tableau de nos plans et nos projets africains. C'est la donne culture, culte, religion et développement. Une forme d'« intention cultuelle » qui pourrait servir de « valeur ajoutée » à toute planification qui touche la dignité humaine dans le développement social africain.
Précisons que par le culte, les Africains vénèrent leurs ancêtres, ce n'est pas adorer des hommes mais s'incliner devant les valeurs humaines et sociales qu'ils ont vécues et transmis. Qu'en avons-nous fait ? Les religions dites révélées, islam et christianisme pour ce qui concerne le Burkina Faso, nous sont apparus par voie de terre ou de mer. Une partie de nos ancêtres en ont fait « leur religion » pour des raisons diverses. Certains en les adaptant forcément au contexte africain, d'autres en les plaquant purement et simplement. Ce qui n'a pas manqué de révéler des dysfonctionnements dont nous portons encore aujourd'hui les stigmates… Par la culture plurielle et locale, il y a l'affirmation d'une « culture Burkinabè » c'est indéniable. Chaque pays africain, malgré le redécoupage colonial des grands ensembles, a su se reconstituer quelque peu (il reste encore à faire). Pour le cas du Burkina, dire que notre culture se limite à des journées festives auréolées de « Parentés à plaisanteries » et de « Brochettes pimentées » reste insuffisant. Il est d'ailleurs curieux que des intellectuels (ou assimilés) se laissent prendre à ce jeu-là. Le culte est le prolongement de la prière, donc d'un sentiment intérieur qui peut se mettre au service du développement humain intégral au Burkina.
L'« intention cultuelle » dans l'esprit et la base du développement au Burkina Faso
La culture Burkinabè est un ensemble de conceptions traditionnelles qui a survécu à l'esclavage et à la colonisation. L'âme des peuples ne se perd pas dans le sable parce qu'elle est enracinée dans les esprits. Et les esprits sont toujours là. Ils veillent. Il faut une intention cultuelle qui est l'image et la détermination d'une personne dans son devenir quand il pose un acte humain ou social. Et pour un pays en voie de développement comme le Burkina cette intention constitue un préalable à toute évolution positive vers la réalisation de l'Homme dont rêve le « Pays des hommes intègres ». Il n'y a pas de développement sans âme et l'âme africaine est fortement cultuelle.
Plusieurs adaptations sont possibles. Dans le catholicisme burkinabé, par exemple, la liturgie peut insérer dans l'eucharistie (communément appelée la messe), une célébration annuelle basée sur le culte des « Saints ancêtres ». Quels chefs traditionnels ne participeraient-ils pas à une telle célébration ? De plus, et comme cela se voir ailleurs, n'est-il pas temps d'instaurer une fête cultuelle des ancêtres Burkinabè ? Célébration d'envergure nationale (jour férié) pour honorer ceux qui ont toujours prié et bénis la terre du Faso ? La conversion ou la restauration que souhaitent tous les Burkinabè pour leur pays passera certainement par une reconnaissance de leur culture. On ne se développe pas, quand on n'a pas d'identité. « Quand on ne sait pas qui on est, on ne sait pas où on va ». Ce qui est dit ici est valable pour toutes les autres religions et toutes formes d'harmonisation entre foi, culture, cultes et prières au Faso. Une « prière Burkinabè » existe-elle ? Si non, il faut la créer et lui donner une place au cœur de l'être Burkinabè. L'inculturation des valeurs africaines n'est pas seulement religieuse, elle est aussi politique et sociétale.
Des exemples comme pistes de réflexions…
Prenons des exemples concrets. Les enfants du Burkina ont le droit d'être reconnus dans leurs cultures pour exister. Le système éducatif tient-il compte de « l'intention cultuelle » de nos progénitures ? Les femmes, et particulièrement les jeunes filles, savent-elles la route à suivre aujourd'hui dans leurs rôles et places dans la société Burkinabè ? Le travail, valeur incontournable pour la « création de richesses », est-il intégré dans le cultuel et vice versa ? Toutes les questions relatives à la désorientation des mœurs de notre jeunesse africaine ont-elles trouvé voix qui répondent ? Ce devoir échoit aux politiques actuelles et à la détermination d'un « pouvoir » qu'il soit de transition ou non. L'avenir appartient aux peuples libres et engagés, en restant eux-mêmes dans le concert des idées mondialisées. Il ne suffit pas d'accuser la mondialisation et les médias pour justifier les malheurs africains.
Un retour aux sources s'avère nécessaire au regard des égarements subis par nos sociétés écarquillées entre le bon grain et l'ivraie. Un avenir culturel, qui passe par une intention cultuelle, est en jeu aujourd'hui dans nos pays africains. Pouvons-nous espérer que la foi et la spiritualité des Burkinabè sauront faire barrage à l'incroyance qui se mondialise progressivement ? La menace ici, c'est ce qui constitue tout être humain : le corps, l'âme et l'esprit.
Peut-on aller plus loin afin de vaincre une cécité des possibles dans un monde aussi surprenant que le nôtre ? Que se passera-il le jour où la démocratie voudra voter dans un pays, s'il faut croire en Dieu ou non ? Est-ce encore une utopie, si un dirigeant peut se déclarer athée et refuser une tradition multiséculaire et croyante ? Le pire, peut-être, reste à venir dans un monde où le choix du plus grand nombre impose toujours sa dictature !
La culture démocratique, en Afrique, passe par cette démarche honnête envers les citoyens : la reconnaissance de leurs richesses intrinsèques. L'État, dans un espace et un temps donné, doit pouvoir refléter les réalités de ses concitoyens et le notifier clairement. Encore une fois, il s'agit de ne pas naviguer à vue, en matière de valeurs référentielles et de patrimoines culturels et cultuels. La « foi » d'un peuple ne se décrète pas certes, mais quand elle existe il faut la dire… Mieux, l'écrire.
L'Afrique a pris l'habitude de chercher des voies et moyens de sa promotion politique et économique. Sa culture et son patrimoine restent encore sous-exploités. Un réveil de ce côté-là ne sera jamais de trop dans une planète ou de nouvelles « valeurs » surgissent chaque jour. Le Burkina Faso saura-t-il relever ces défis-là ?
Nérée Z.
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