Dr Ousseni Illy au Pr Etienne Traoré : Oui, Professeur, la « dérive ethnique » n'est qu'une pure vue de l'esprit !

Publié le mardi 24 février 2015

Depuis un certain temps, nous assistons çà et là à une levée de boucliers contre une prétendue « dérive ethnique » ou « religieuse » dans notre pays. Il y a quelques semaines, c'est M. Abdoul Karim Sango qui, à travers son vœu du nouvel an, appelait à « stopper la dérive ethniciste » (confère lefaso.net du vendredi 2 janvier 2015).




Pas plus tard qu'il y a une semaine, c'est au tour d'un « groupe » de ressortissants burkinabè résidant en France de condamner ce qu'ils appellent une « dérive religieuse » à travers certaines nominations du Premier ministre. Last but not the least, c'est le Professeur Etienne Traoré qui, en réaction au sondage publié par le journal Bendré donnant vainqueur aux élections d'octobre prochain à M. Zéphirin Diabré, s'est dit « très surpris » par les résultats et de se demander si les références ethniques en politique dans notre pays ne seraient alors que de pures vues de l'esprit. Le Professeur, qui ne semble pas croire d'un iota à ces résultats, dit rester sur « ses sentinelles » et appelle « ses compatriotes à contrer une telle dérive (ethnique) qui est toujours sournoise et ne s'exprime presque jamais publiquement ».


S'il faut saluer dans l'ensemble ces écrits pour leur caractère interpellateur sur un péril (le communautarisme), qui guette par ailleurs toute société plurielle, il faut s'en démarquer pour leur caractère dramatisant et surréel. Oui, il peut exister çà et là des propos d'énergumènes ou de politiciens en perte de vitesse sur l'origine ethnique de tel ou tel homme politique, mais de là à affirmer qu'il y a une « dérive ethniciste » ou « religieuse » dans le pays, il y a un pas qu'il ne faut pas franchir (en tout cas que moi je refuse de franchir !). Il en est toujours ainsi, ces intellectuels, qui pensent toujours déceler des choses au sein des populations, choses que ces populations elles-mêmes n'ont jamais imaginées. En France, on se souvient toujours des commentaires sur l'origine hongroise de Nicolas Sarkozy, et le fait – disaient les « experts » – que le « fond raciste » des Français les empêcheraient d'élire un fils d'immigré, fut-il « tout blanc » comme eux. Le résultat, on le connait. Pas si loin que cela, les mêmes spécialistes n'avaient cessé de nous rappeler que la ségrégation raciale n'était pas encore terminée dans l'esprit des Américains et qu'à la limite Barak Obama amusait la galerie en prétendant à la fonction suprême dans ce pays. Inutile de vous dire ce qu'il en est advenu de leurs prophéties. Il y a souvent à se demander entre ces prétendus experts et les peuples, qui est en avance sur qui ? Qui prend ses désirs ou ses intentions pour les désirs ou les intentions de l'autre ?


Au Burkina Faso, mon intime conviction est que la même leçon sera donnée par le peuple à tous ceux qui l'accusent injustement de « dérive ethniciste », alors qu'il n'en est rien du tout. Oui, Professeur et autres tenants de la dérive ethnique, il n'existe aucun péril ethnique ou religieux au Burkina Faso, et les références ethniques en politique ne sont que de pures vues de l'esprit ! Contrairement à vous qui ne donnez aucune preuve de vos allégations, moi j'ai quelques faits :


1) Le peuple burkinabè a toujours témoigné son esprit d'ouverture et de coexistence pacifique que ce soit au niveau ethnique ou religieux. Pour preuve, qui peut citer le nombre de mariages inter-ethniques et inter-religieux qui sont célébrés chaque année dans le pays ? Ces mariages sont-ils en baisse ? Je ne le crois pas.


2) Disons-le tout clairement, le débat sur la prétendue dérive ethnique a pris son envol avec la candidature du président de l'UPC, dont certains esprits nains pensent que les autres ethnies (en particulier l'ethnie majoritaire, les Mossis), ne voteront pas pour, du simple fait qu'il serait d'une ethnie qu'ils « n'aiment » pas. J'ai personnellement souvent entendu en effet ce genre de ragots, mais cela m'a toujours fait sourire, et contrairement au Professeur, moi je crois en la maturité et en « l'autonomie citoyenne » (pour reprendre son expression) du peuple burkinabè. A cet égard, les candidats qui seraient de l'ethnie majoritaire et qui le prendraient pour un avantage se trompent lourdement (au passage, ils pourraient demander au président déchu si cela lui a servi à quelque chose). Le peuple burkinabè a les yeux ouverts, et confiera son destin seulement et seulement à celui ou celle qui aura démontré qu'il est réellement capable de l'amener vers le meilleur. Tout autre calcul n'est que pure vanité. Parlant de l'UPC, qui cristallise les passions, il n'est un secret pour personne que les militants de ce parti se recrutent dans toutes les ethnies du pays, et on compte même parmi ses lieutenants des ministres du Moro Naba. Quelle belle preuve qu'il n'y a aucun problème entre Mossis et Bissas, et que le fait ethnique n'est ni plus ni moins qu'une vraie pure vue de l'esprit !


On pourrait multiplier les faits et gestes qui attestent de la parfaite harmonie du peuple burkinabè et qui battent en brèche les thèses alarmistes d'un prétendu péril ethnique ou religieux. Pour la petite anecdote, lorsque la polémique sur le sondage de Bendré a éclaté, c'est un Yaméogo (mossi/UPC) qui a répondu à un Sawadogo (mossi/MPP). Moi-même auteur des présentes lignes, je suis originaire de la province du Passoré, et sans trahir le secret du vote, si celui-ci devait avoir lieu aujourd'hui, aucun des candidats déclarés appartenant à la prétendue ethnie majoritaire ne recueillerait ma voix. Où se trouve donc la dérive ethnique ?

3) S'agissant des prétendues nominations à caractère religieux du Premier ministre, je me pose simplement une question : entre celui qu'on accuse de nommer ses coreligionnaires et celui qui scrute chaque conseil des ministres pour chercher les noms des protestants et autres, pour ensuite les brandir comme un trophée de guerre, qui est plus « intégriste » que qui ? Une chose est sûre, celui qui nomme a au moins le bénéfice du doute. Sauf à rentrer dans des procès d'intentions, on ne peut prouver qu'il a fait les nominations juste parce les personnes en question appartenaient à la même religion que lui. Enlevons donc la poutre qui se trouve dans nos propres yeux avant de chercher à enlever la paille qui se trouve dans les yeux des autres.


Pour finir, j'aimerais interpeler mes collègues et ainés intellectuels pour qu'ils « mettent la balle à terre ». Il n'y a pas et il n'y aura pas de péril ethnique ou religieux au Burkina, et tout le monde connait bien les raisons. Sachons donc raison gardée, sinon à force de ressasser un problème qui n'existe pas en réalité, nous risquons, comme Frankenstein, de créer un monstre qui finira par nous dévorer tous.

Au passage, je salue le sens élevé de la responsabilité des plus hauts leaders politiques du pays qui ne se laissent pas divertir par ce débat insensé.


Dr Ousseni ILLY

Enseignant-chercheur

Université Ouaga II





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