Chefferie et politique : pourquoi ne pas constitutionnaliser aussi les imams de quartier ?
Au Burkina Faso, la chefferie traditionnelle / coutumière suscite un débat passionné mené par des non initiés et ils impliquent parfois les parties prenantes. Pourtant la réponse est bien simple. Mais encore faut-il poser la bonne question. Mes questions seront un peu redondantes, mais il faut s'y accrocher.
Primo, au nom de quel droit, peut-on empêcher « un imam » de trois vendeurs de cartes téléphoniques au bord d'une grande voie de se mêler de politique ? Mais si l'on devait reconnaître, par un acte législatif, le droit des imams, peut-on considérer cet imam au même titre que l'Imam de la mosquée du vendredi, que l'imam de la grande mosquée de Ouagadougou ? Avez-vous une réponse ? Pourtant, ils sont tous appelés « Imam ».
Secundo, au nom de quel droit, peut-on empêcher un catéchiste d'une communauté chrétienne de base (c'est le plus petit regroupement de chrétiens dans un quartier) d'être aussi responsable d'un parti politique ? Mais si l'on devait reconnaître, par un acte législatif, le droit des responsables religieux, ce catéchiste peut-il avoir la même importance que le Curé d'une paroisse, que l'Evêque d'un diocèse, que le Cardinal ? Pourtant, ils sont tous responsables religieux.
Tertio, au nom de quel droit, peut-on empêcher une jeune recrue (lacrou) d'avoir une opinion politique, d'être le relai d'un parti d'un Capitaine (qui n'avait jamais pris sa retraite) ou d'un Général de gendarmerie ou d'un Colonel de l'armée qui bientôt seront en retraite pour servir la République ? Mais une jeune recrue a-t-elle une si grande influence sur la troupe qu'un Commandant de compagnie, qu'un Colonel ou un Général de Brigade ? Pourtant, s'il vous plaît, ne me faites pas « pomper », ils sont tous soldats,
Quarto, et je termine mes questions. Au nom de quel droit, peut-on empêcher un président de l'association des pousseurs de barrique d'eau du quartier de la Patte d'Oie d'avoir une opinion politique et au besoin d'être le leader incontesté de son propre parti Tartampion dont les membres peinent à désembourber sa barrique en saison pluvieuse. Mais quand viendra l'heure de reconnaître l'importance des organisations de la société civile, aura-t-il la même aura que le Président de l'Association national des droits de l'homme, du président du mois des syndicats ? Pourtant, ils sont tous présidents.
Il y a Chef dans chef.
La question de la chefferie empoisonne la vie de bien de Burkinabè parce qu'elle est le fait de l'ethnie majoritaire. Chez nous, les mossé, nous aimons tellement la chefferie, qu'il y a un chef pour tout et des chefs partout : chef du foyer de la dolotière, chef des termites, chef du bois central du hangar, chef de la paille non encore coupée, même le chemin qui mène de chez moi à mon voisin a un chef. Et tous portent des bonnets… rouges. Et s'il se fait que le chef des termites est un peu aisé, il peut se coudre un bonnet plus multicolore que celui de Naaba Baongho (je lui abaisse mes coudes) et un très bel habit brodé de crin d'or, plus joli que celui du Naaba de Boussouma. Seulement, il faut être un initié et se rendre chez le Moogho Naaba, le vendredi matin, pour se rendre compte qu'il y a Chef dans chef.
Eu égard à ce parallèle, la réponse parait simple. Le Naaba Baongho (j'utilise à dessein le mot Naaba pour intensifier toute la confusion sciemment entretenue et voulue), le Naaba Baongho, dis-je, n'a pas la même influence que le « zeim naaba » (le chef de la potasse) de mon quartier. Le Naaba du Yatenga n'a pas la même influence que le « zaï naaba » (le chef des croissants de lune) d'un bas quartier de Ouahigouya. Le Naaba de Fada n'a pas la même influence que le Loamba naaba (le chef des clochettes). Le Naaba de Boussouma ou le Naaba de Tenkodogo n'a pas la même influence que le Som-saar naaba (le chef de la battue). Pourtant, ils sont tous … « chefs ».
Pour ceux qui débattent de la place et du rôle de la chefferie mais qui ne maîtrisent pas toute la subtilité de la culture moaga, voici une anecdote vécue. Lors d'un 11 décembre (que de nostalgie !!! C'était une vraie fête, dans les années 60-70 ! Ecoliers, nous défilions au son d'une fanfare locale de trois tamtams, et nous avions des réjouissances populaires organisées par le Commandant de cercle, notamment le fameux mat de cocagne). Ainsi donc, lors d'un 11 décembre, disais-je, dans mon natal ex Cercle de Saponé, le Commandant avait offert un mouton aux chefs. Et l'on dépeça le mouton. Malgré la présence de tous les « chefs », n'eurent droit à une part que les quatre chefs de canton. Et même dans le partage, l'on ne remet pas ce qui revient à chacun dans un désordre. L'on commence par le plus âgé. Chez nous, chez les mossé du centre, même pour manger, c'est le plus âgé qui plonge le premier sa main dans le plat, ou pour être plus exact, c'est le père qui commence. Ainsi, lors du partage, l'on remit, d'abord, une cuisse « au Kayao ». C'est l'ancêtre. Ensuite, la deuxième cuisse fut remise « au Saponé ». Troisièmement, un membre inférieur revint « au Baguemnini » et enfin le dernier membre inférieur « au Komsilgha ». Aucun des autres chefs présents ne revendiqua quoi que soit. Pourtant, tous ont des bonnets… rouges. Car chacun connaît sa place et ce à quoi il peut prétendre.
Constitutionnaliser la chefferie, un argument gosier.
Aujourd'hui, malheureusement, « tout est mélangé ». C'est comme chez les militaires à une époque. Les deuxième classe commandaient des Colonels. Ainsi l'on entend souvent un « chef » revendiquer une place du fait que lui aussi est « nommé par le Moogho ». L'on a vécu plusieurs fois ces incidents lors de cérémonies publiques : un « petit chef » parce qu'il est aisé et bien habillé du pied à la coiffe, arrive en retard. Le protocole non content de lui trouver une place, joue des pieds et des mains pour le faire asseoir au même rang que son supérieur. Et parfois ce dernier venu n'enlève pas son bonnet pour marquer sa déférence. Et voici l'incident que le Moogho devra gérer.
Constitutionnaliser la chefferie tourne autour d'un argument principal : la prévoir dans le dispositif législatif afin de servir des prébendes « aux chefs » afin qu'ils mangent, se taisent et se mettent à l'écart de la politique. L'argument est tellement gosier que nous autres, princes, avons le hoquet. C'est vrai, beaucoup de nos bonnets… rouges peuplent les cérémonies parce que c'est la seule rente actuelle. Pire, c'est lors des campagnes politiques que le chef « peut manger cadeau ». Et comme être « chef » n'est pas un métier, les bonnets… rouges « tomat-isent » les tribunes. Les chefs des termites sont heureux que l'on les convie partout. Ils sont aidés en cela par les politiciens qui, pendant les campagnes, croient que tout bonnet… rouge peut sucrer leur café. Ainsi, les politiciens s'agrippent à tous les bonnets rouges. Or il y a des boîtes vides de « bonnet rouge ». N'en déplaise donc à tous les politiciens, tous les bonnets rouges ne sont pas constitutionnalisables.
A mon humble avis, la question est d'une limpidité troublante. Ce n'est pas parce que les mossé aiment leur chef et leur font toutes les courbettes que toute le République (et toutes les autres ethnies) doit se mettre à quatre, « à plat ventre couché sur le dos », devant les chefs. Quand les Empereurs mettront de l'ordre dans la chefferie en codifiant qui est « vrai » chef, le débat sera sain, parce qu'il ne sera plus simplement alimentaire. Et le débat sur la « cheffocratie » sera bien clos voire bien enturbanné.
André-Eugène ILBOUDO
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