« Le peuple a pris conscience de sa force et reste vigilant », dixit Pr François Zougmoré
Qu'adviendrait-t-il, si la contestation intervenue aux temps chauds de l'insurrection populaire entre un général des Armées et un lieutenant-colonel, se produisait au sein du corps professoral universitaire ? C'est là, une question épineuse parmi tant d'autres, auxquelles François Zougmoré, Professeur titulaire en Electronique, Instrumentation & Mesures, par ailleurs Directeur du Laboratoire de Matériaux et Environnement (LAME), a répondu dans le cadre d'un entretien axé sur l'insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014. Et sa conviction à lui, c'est que de façon mathématique, d'autres insurrections populaires surviendront, si « les questions de fond » qui ont amené le peuple à s'insurger, « ne sont pas traitées et résolues ». Lisez plutôt !
L'insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 était-elle, selon vous, prévisible ?
Je vous remercie de m'avoir approché pour me permettre de m'exprimer sur cette situation quand bien même que cela ne relève pas de mon domaine au niveau de la recherche scientifique. Mais en tant que citoyen vivant dans ce pays, je suis également interpellé. Et j'ai ma lecture, comme beaucoup de Burkinabè, sur la situation.
Prévisible, oui. De cette ampleur, peut-être pas à ce moment. En tout cas, beaucoup de gens ont été surpris par son ampleur. Elle était prévisible dans la mesure où, si on revoit les mouvements sociaux qui ont commencé depuis 1998 suite à l'assassinat du journaliste Norbert Zongo et ses compagnons, ils n'ont véritablement pas baissé. Depuis lors, il y a eu beaucoup de soubresauts avec parfois des interventions brutales des forces de l'ordre. En 2011, ce qu'on a vécu, fut assez inquiétant.
Et il y a de cela deux ans, la rumeur circulait de façon persistante par rapport à la modification de l'article 37 de la Constitution. Par la suite, il a été donné de constater que cet article allait effectivement être modifié ; et ce, dans un contexte de velléités de mise en place d'un Sénat. Dès lors, les gouvernés se sentaient de plus en plus éloignés des gouvernants. Pire, la grande majorité de la population était frappée par la vie chère, des gens se rendaient justice par eux-mêmes ; c'était donc un ras-le-bol généralisé. Et l'insurrection populaire est l'expression de ce ras-le-bol ; et surtout de l'envie de voir le changement au sommet de l'Etat.
Ce fut un mouvement inédit dans notre pays, et qui a même marqué un peu partout en Afrique et ailleurs. Il n'y a qu'à voir comment les gens réagissent au plan international par rapport à cela. Les gens ont vu le sursaut très fort d'un peuple travailleur, très tolérant, et qui a décidé qu'il ne veut plus du système en place. Voilà un peu, comment moi j'analyse cette situation d'insurrection populaire.
Peut-on se faire une idée de comment vous avez vécu la journée du 30 octobre qui a particulièrement été chaude à Ouagadougou ?
Il faut dire que la veille au soir, j'avais beaucoup travaillé. Et vers minuit, je suis allé m'assoir avec des jeunes dans un maquis quelque part dans mon quartier. Parmi eux, il y ‘en avaient qui étaient pour la marche ; d'autres, contre. Je me détendais en les écoutant. Quelques instants après, je suis reparti à la maison.
Le matin, je suis sorti très tôt. Dès 5h déjà, j'ai vu des gens converger vers le centre-ville, de façon déterminée. J'ai pu également constater que les forces de l'ordre se préparaient, eux-aussi. Manifestement, on pouvait se convaincre qu'un clash allait intervenir. On sentait déjà que la situation était explosive, eu égard à la détermination avec laquelle les gens avançaient alors même que des forces de l'ordre se positionnaient.
Plus tard dans la matinée, j'étais dans la rue dans mon quartier, avec des gens, et je suivais l'évolution de la situation. J'écoutais la radio et je consultais de temps en temps LeFaso.net sur mon smartphone.
Ce fut vraiment une journée particulière où la vaillance de la jeunesse n'était pas prête de baisser malgré les tirs. Elle voyait des gens tomber sous les coups des balles ; mais cela ne l'a pas arrêtée. La jeunesse tenait vraiment à mettre fin à une situation qu'elle ne voulait plus.
Dans la foulée, on a assisté une série de déclarations émanant d'une part, du président Compaoré qui tenait à rester au pouvoir ; et d'autre part, de l'Armée qui voulait se hisser au fauteuil présidentiel. Quelle est votre lecture sur cette brouille ?
Je pense que ceux-là qui avaient appelé à sortir le 30 octobre, n'avaient manifestement pas mesuré combien était la volonté d'en finir avec le régime Compaoré. Je dis cela, parce qu'au moment où la population était dans la rue, avait fini par vaincre un peu partout après l'Assemblée nationale, et voulait aller à Kosyam, les organisateurs ne voyaient pas les choses de cette façon. Il s'est donc trouvé qu'à un moment, le pouvoir était effectivement vacant.
Je pense que du point de vue des opposants organisés au sein du CFOP (Chef de file de l'opposition politique, ndlr), le problème était premièrement et avant tout, empêcher d'une manière ou d'une autre, la prolongation du mandat du capitaine Blaise Compaoré au-delà de 2015. L'opposition voulait tout simplement le départ de Blaise Compaoré, à la fin de son mandat et de manière pacifique.
Le peuple voyait autrement la situation. Il ne voulait pas cette démarche politique ; il voulait en finir avec le régime de Blaise Compaoré, et maintenant. C'est pourquoi, la première déclaration du CFOP de même que la deuxième déclaration ont été jugées insuffisantes par les insurgés. Troisièmement, le chef de file de l'opposition a parlé ‘'démission'' pendant que le peuple voulait chasser Blaise Compaoré de Kosyam. Dans cette situation de confusion, avec un pouvoir vacant, une partie du peuple a fait appel à l'Armée.
Il se trouve que le général Lougué, quand il était chef d'Etat-major des Armées, a été populaire auprès de la troupe et une partie de la population civile. C'est ainsi qu'une partie des manifestants a estimé qu'il pouvait faire l'affaire, en attendant.
La grande majorité de la population n'était pas d'accord que les militaires prennent le pouvoir. Néanmoins, il y a eu des gens qui voulaient que Lougué prenne le pouvoir. Visiblement aussi, le général Lougué n'était pas suivi par l'Armée dans son ensemble, puisque le Chef d'Etat-major général des Armées se déclarait lui aussi.
On a donc assisté, aussi, à une situation où un chef d'Etat-major général des Armées s'est déclaré président, et quelques temps après, un militaire moins gradé, se déclare lui aussi, président. Cela a mis en évidence, une fois de plus, des problèmes au niveau de l'Armée. Cela nous amène aussi à poser la question de la place et du rôle de l'Armée dans une République.
Nous pensons que son rôle est d'assurer la défense des frontières et la protection des personnes et des biens. L'Armée n'a pas pour vocation de gérer le pouvoir politique dans un pays. Dans un Etat démocratique, ce sont les partis politiques, animés par des civils, qui gèrent le pouvoir politique à l'issue de compétitions électorales. La gestion administrative de la cité doit revenir aux civils.
Marquons un petit arrêt sur ces déclarations contradictoires au sein de l'Armée, pour faire une extrapolation. On a vu un Lieutenant-colonel qui a écarté un général, de surcroit le Chef d'Etat-major général des Armée par rapport à l'occupation d'un poste vacant. Si pareille situation se produisait en milieu universitaire, entre un maître-assistant et un Professeur titulaire, à quoi pourrait-on s'attendre en termes de conséquences ?
Vous avez très bien compris la situation. Effectivement, dans nos universités, le corps professoral fonctionne dans des grades, un peu comme au niveau de l'Armée, du plus ancien dans le grade le plus élevé au plus jeune dans le grade le moins élevé.
C'est vrai qu'il y a eu quelques fois dans le brouhaha général où on a laissé entendre ‘'on fait, et puis il y a rien''. Entendez par là, on peut ‘'tordre'' le cou aux normes et aux règles, impunément. C‘est ainsi que certaines personnes ont été propulsées à des postes qu'ils ne devaient pas occuper ; on voit parfois des étudiants qui sont décorés, alors que leurs professeurs ne le sont pas. Cela est complètement inadéquat, naturellement.
Mais la comparaison avec l'Armée s'arrête là. En effet, la conception des questions de quelle que nature que ce soit en milieu militaire, n'est pas la même qu'au niveau des civils. Au niveau civil, s'il y a par exemple un adversaire qui est ‘'gênant'', on dira ‘'neutralisez-le''. Cela reviendra, dans l'entendement du civil, à l'empêcher de progresser, à l'empêcher de s'épanouir. Mais d'un point de vue militaire, ‘'neutraliser'' un adversaire revient à dire qu'il faut l'éliminer physiquement.
La lecture que l'on a pu faire de ce qui s'est passé au niveau de l'Armée, c'est que manifestement, l'essentiel de l'armada militaire se trouve à la disposition du RSP (Régiment de sécurité présidentiel, ndlr), donc du Lieutenant-colonel Zida. Et les autres se sont rendu compte qu'ils n'ont pas les moyens de lui faire face. Et le plus ancien a opté de jouer à l'apaisement.
A peine avait-elle décidé de prendre ses responsabilités, des voix ont exigé le retrait de l'Armée du pouvoir. Ces voix avaient-elles raison ?
Je pense que les gens ont en mémoire, les expériences passées tant dans notre pays que dans d'autres pays africains. La revendication d'avoir un pouvoir de transition civil plutôt que militaire, ce qui est d'ailleurs soutenu au niveau international, est somme toute, le moins mauvais scénario.
Maintenant, tout le problème consiste à sauvegarder les acquis de l'insurrection, c'est-à-dire prendre en compte les revendications justes et légitimes qui ont soutenu l'insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014. On peut citer la fin de l'impunité, la justice pour tous. Les gens ont soif de justice ; et au lieu de cela, les dossiers de crimes de sang et de crimes économiques traînaient dans les tiroirs. C'est ce qui peut expliquer la mise à sac et l'incendie du palais de justice de Bobo-Dioulasso. Il faut faire la lumière sur tous les biens mal acquis, faire la lumière sur les crimes impunis, sur les dossiers pendants. Je me souviens que l'ex-Premier ministre, Luc Adolphe Tiao, s'était mis en colère à l'Assemblée nationale, en criant haut et fort, que ce n'était pas possible qu'il y ait autant de dossiers pendants qui traînent dans les tiroirs et que lui, il exigeait de régler les choses dans les plus brefs délais. Mais jusqu'à sa chute, il n'y a rien eu dans ce sens. Pour qu'il y ait un apaisement, il faut que la justice soit prise au sérieux et que les crimes économiques et de sang soient élucidés et les coupables sanctionnés.
Quel est aujourd'hui, votre message à l'endroit des différents acteurs qui se trouvent être au centre du processus de transition ?
De façon modeste, car je n'ai pas de leçon à donner, je dis ceci : nous voulons un véritable changement comme l'a si bien exprimé le peuple lors de l'insurrection populaire. Les aspirations légitimes du peuple tels le progrès, la liberté, le droit au développement, un avenir moins sombre pour nos enfants, etc., doivent être le socle de ce changement.
Le a montré la voie en écrivant une partie de l'Histoire de notre pays les 30 et 31 octobre 2014. Il y a des gens qui veulent tout simplement remplacer Blaise Compaoré et continuer à faire comme lui. Non ! Ce n'est pas pour ça que le peuple a lutté, que des jeunes se sont sacrifiés.
Concernant les différents acteurs, je leur demande, encore une fois humblement, de méditer le sens profond de l'insurrection populaire. Tant que les questions de fond qui ont poussé à l'insurrection ne sont pas traitées et résolues, il y'aura d'autres insurrections populaires. C'est mathématique ! Le peuple a pris conscience de sa force et reste vigilant par rapport aux contentieux qu'ont traînés les pouvoirs qui se sont succédés dans notre pays, particulièrement le dernier en date, celui de Blaise Compaoré. Il faut la justice, donc la lumière sur tous les dossiers pendants. Il faut de l'emploi pour les jeunes, la répression de la corruption, bref un changement des pratiques néfastes du régime Compaoré.
Pour terminer, si vous me le permettez, je formule, à l'aube de cette nouvelle année, mes vœux de santé, de joie et de bonheur à notre vaillante jeunesse et à notre peuple travailleur. Courage et détermination, et que 2015 voit la réalisation de nos souhaits les plus chers.
Entretien réalisé par Fulbert Paré
Lefaso.net
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