Pîiga Souleymane Yaméogo : « Avec assez de recul, je pense que la jeunesse burkinabè veut rêver »

Publié le jeudi 18 décembre 2014


Sa petite silhouette cache une grosse personnalité. Economiste de formation, porte-étendard du mouvement le Balai citoyen au cours de ses balbutiements de nouveau-né à Bobo-Dioulasso, Pîiga Souleymane Yaméogo est un de ces jeunes leaders qui ont tout abandonné, ou presque pour déboulonner Blaise Compaoré du palais de Kossyam. Blaise parti, cet économiste de formation a évoqué avec Lefaso.net les motivations de son engagement, sa vision du Burkina nouveau, le défi du gouvernement de transition et bien d'autres questions.




Lefaso.net : Pouvez-vous nous relater votre journée du 30 Octobre 2014, premier jour de l'insurrection populaire ?

Pîiga Souleymane Yaméogo : Rappelons que mes maux de dos ont commencé le 28 octobre 2014 après la marche de l'opposition où nous avons été gazés. Donc, je souffrais de mal de dos, des examens plus approfondies ont diagnostiqué une discopathie. J'étais donc sous traitement et j'étais affaibli. Le Jeudi 30 Octobre, j'ai quitté la maison avec des maux de dos et je me suis fait déposer au niveau de la Cité An III où je devais retrouver les autres membres du Balai Citoyen. Les choses étaient calmes à Ouaga et l'ambiance allait bientôt changer vers 9h-10h. Au niveau de la cité An III, j'ai retrouvé Me Kam que je n'ai plus quitté jusqu'au 31 octobre. De la cité An III, nous avons brisé des barrières et nous avons entamé la marche en repoussant les forces de l'ordre jusqu'à l'Assemblée nationale, qui a été brulée devant nous (nous avons tenté d'empêcher de bruler en demandant aux gens de ne pas le faire, mais c'était peine perdue). Ensuite, c'était au tour de la Télé qui a été saccagée. Après cela, Me Kam et Moi, on monta sur une moto et on demanda aux gens de descendre sur Kossyam. Et le mouvement s'ébranla vers Kossyam.


En appelant les manifestants à descendre sur Kossyam, n'avez-vous pas eu peur d'être à l'origine d'un drame ? Quand on sait que le risque de carnage était trop grand…


C'est vrai, mais nous nous sommes rendu compte que les populations étaient déjà en route pour Kossyam. Nous avons rencontré des colonnes de jeunes qui allaient vers Kossyam. En appelant les jeunes à marcher sur Kossyam, nous répondions à la volonté des jeunes de faire partir Blaise Compaoré. Tout le monde savait qu'en appelant les populations à sortir ce 30 octobre, les risques étaient énormes. Je pense que la jeunesse avait décidé d'aller au bout de sa décision. J'ai été impressionné par la fougue de la jeunesse. Sa volonté de changer de système ne pouvait pas être arrêtée


Cela n'arrive pas tous les jours d'affronter des balles justes pour demander le changement. Avec le recul, comment peut-on expliquer votre détermination et la détermination de toute la jeunesse burkinabè ?


Avec assez de recul, je pense que la jeunesse burkinabè veut rêver et surtout prendre en charge son propre destin. Cette jeunesse a toujours voulu se mettre en mouvement pour changer les choses, mais elle a toujours été trahie par les hommes politiques. Elle s'est donc repliée sur elle-même. Mais avec l'émergence de mouvements de la société civile, la jeunesse a commencé à prendre confiance en elle-même et à vouloir lutter. Seul un cadre crédible de lutte manquait pour canaliser les frustrations des jeunes et de transformer cela en une bombe qui une fois explosée a fait partir Blaise Compaoré et son groupe. Pour ce qui me concerne, j'ai toujours lutté pour que la jeunesse se prenne en charge. A travers mes activés dans le Balai Citoyen, avec l'organisation du Thé-Batteurs par mon association Per-Form et mes activités de sensibilisation sur la RTB avec la génération Cheikh Anta Diop, je pense que j'ai contribué au changement de mentalité avec mes camarades.


Pourquoi et quand avez-vous rejoint le Mouvement le Balai-Citoyen ?


Je n'ai pas rejoint le Balai Citoyen, je fais partie de ces jeunes qui ont créé le Balai Citoyen. Et je l'ai lancé pour la première fois à Bobo Dioulasso, lors de la marche du Senat. Mais les Bobolais ont découvert ce mouvement à Bobo-Dioulasso, le jour de la finale de mon concours le Thé-Batteur en 2013. Nous avons créé le Balai Citoyen parce que nous voulions canaliser les aspirations des jeunes frustrés par la mauvaise gestion de la lutte des ainés pour transformer notre pays.


Qu'est-ce qui peut expliquer le triomphe, si on peut le dire du Mouvement Balai Citoyen dans la lutte contre le régime Compaoré ?


D'abord c'est un mouvement de jeunes, un mouvement crédible qui est resté fidèle à ses principes, mais aussi et surtout parce que le Balai est porté par des personnes qui ont mené la lutte contre Blaise au moment où personne n'osait parler. Ensuite, le Balai citoyen a retroussé les manches et s'est mis au travail pour mobiliser et sensibiliser les jeunes. Enfin, nous avons uni nos forces aux autres forces du mouvement pour fédérer l'énergie de toute la jeunesse de tout bord, sans exclusion


Que retenez-vous du Président Compaoré, l'homme qui a dirigé le BF pendant 27 ans ?


Blaise Compaoré est un gâchis pour le Burkina Faso et une déception pour l'Afrique.


Dans l'immédiat, le grand défi du Burkina est la réussite de la transition qui doit conduire le pays à des élections en 2015. Le pari est-il gagnable ?


Oui, il suffit que chacun sache ce qu'il a à faire et le délai qu'il a pour le faire et qu'il le fasse bien. C'est tout ce qu'on demande aux uns et aux autres.


De la présidence, Yacouba Isaac Zida s'est retrouvé à la primature avec des camarades militaires dans des ministères. Est-ce à dire que le Burkina n'a pas encore fini avec des militaires qui s'immiscent dans l'exécutif ?


Je pense que l'heure n'est pas à ce genre de débats. Nous sommes dans une transition. Et par principe, une transition n'est pas une situation idéale, mais un mouvement vers le point idéal et le point idéal c'est de faire en sorte que justement les élections permettent de mettre chacun à sa place, militaire, homme politique, société civile. C'est cela qui doit faire objet de débat en ce moment.


Concentrons-nous sur les objectifs de la transition et faisons tout pour les atteindre

Avant le Balai Citoyen, tu t'es révélé à la jeunesse de Bobo à travers un concept, le thé-batteur. Peux-tu nous donner de plus amples explications sur ce concept ?


Oui. Le Thé-Batteur est un concours d'éloquence qui visait, comme tu l'as dit bien avant le Balai Citoyen, à cultiver le goût du débat contradictoire au sein de la jeunesse, à lui permettre de prendre conscience de son rôle et surtout de se battre pour ses points de vue sans violence. Nous avons fait deux éditions à Bobo Dioulasso et une édition à Ouaga à la Télévision nationale. Nous l'avons fait avec engagement et sans sponsor véritable qui nous aide vraiment. Mais notre conviction nous permet de continuer notre projet afin de créer un cadre d'expression pour la jeunesse sur toute l'étendue du territoire


Le thé-batteur continue ?


Nous sommes à la recherche de fonds pour l'organisation de la 3e édition que nous voulons cette année nationale. Et nous espérons obtenir des financements pour cela. Nous ne comptons pas abandonner.


Panafricaniste que vous êtes, quelles sont les répercussions plausibles de l'insurrection burkinabè sur les états africains qui sont toujours à la solde des présidents qui ont plus de 20 ans de présidence ?


Je pense que notre résistance a eu des échos sur la jeunesse africaine. Elle sait qu'elle peut renverser un dictateur sans attendre l'aide de la France ou des Etats-Unis. Et je suis content de voir les mobilisations des jeunes du Togo, du Congo. J'ai même reçu des appels de jeunes de pays qui voulaient comprendre nos stratégies pour s'en inspirer. Et c'est avec joie que je leur explique. Seulement, seuls les Etats-Unis d'Afrique peuvent nous permettre d'éviter ce genre de dérive de nos dirigeants…


Interview réalisée en ligne par Ousséni BANCE

Lefaso.net





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