Héros de l'insurrection populaire : Hervé Ouattara
Il fait partie des derniers à avoir vu l'ex-président du Faso, Blaise Compaoré quand il est allé lui dire de rendre le tablier. Hervé Ouattara, président du Collectif anti-référendum (CAR), a joué avec son mouvement, un rôle important dans les évènements qui ont précipité le renversement du régime de la 4ème république. Mais pour lui, le combat n'est pas fini. Menaces par téléphone, il en reçoit tout le temps. Cambriolage de sa maison, il en a connu ces derniers moments. Simple coïncidence, ou tentative d'intimidation ? Dans tous les cas, Hervé Ouattara se dit prêt à se battre pour son idéel, même au prix de sa vie.
Lefaso.net : Dans le dispositif mis en place par les organisations de la société civile, quel rôle devriez-vous joué le 30 Octobre ?
Hervé Ouattara : Je devais gérer le tronçon BIB (Banque internationale du Burkina, ndlr) siège, rond-point des nations unies jusqu'à l'UAB (Union des assurances du Burkina, ndlr). Il fallait aussi travailler à déjouer le dispositif de sécurité afin de prendre en otage l'Assemblée nationale. On s'est organisé, mes camarades et moi, afin de réussir le pari. J'avoue que ça n'a pas été facile dans la mesure où la sécurité s'est positionnée avant même 05h du matin. Quand nous sommes arrivés, tout était barricadé par les forces de l'ordre et de sécurité. Il fallait donc mettre des stratégies qui puissent les mettre en déroute. L'un dans l'autre, avec l'appui des autres mouvements de la société civile, je crois qu'on a réussi le pari puisque l'Assemblée nationale a été prise.
Et sur la route qui mène à Kossyam ?
Concernant le tronçon de Kosyam, vous savez, depuis le début des hostilités, mon mouvement a tenu à prendre l'opinion nationale à témoin, en disant que le jour où Blaise Compaoré dira qu'il y a referendum, il saura que le peuple burkinabé est organisé et attend. Quand nous avons appris que le projet de loi était à l'Assemblée nationale, nous avons estimé que le président Compaoré était allé trop loin et avait même défié le peuple burkinabé. Par conséquent, il fallait véritablement réagir ; et cette fois-ci, on ne voulait plus le retrait de la loi, mais son départ. Après l'Assemblée nationale, des équipes devraient se rendre dans des points stratégiques. Moi je conduisais l'équipe qui devrait se rendre à Kosyam, parce que nous avons appris entre-temps que le président Compaoré n'était plus à Kosyam, donc il fallait y aller pour vérifier. Voilà comment les choses se sont passées et nous nous sommes retrouvés effectivement à Kosyam.
Comment avesz-vous pu entrer à Kosyam ?
Vous savez, ça n'a pas été facile parce que sur ce tronçon, on enregistrait déjà des morts, des blessés. Nous avons été interceptés par le Régiment de sécurité présidentielle depuis l'hôtel palace. Il y a eu des tirs de sommation, mais on a pu les repousser jusqu'au dernier feu de Kosyam. On a demandé aux militants de lever les mains pour montrer que nous n'étions pas armés, que nous étions des citoyens burkinabé, tout ce que nous voulions c'était de libérer notre pays. Effectivement, les gens ont levé les mains, nous avons avancé petit à petit jusqu'en face de Kosyam. C'est là que le Général Gilbert Diendéré a intervenu ; il est venu à notre rencontre et a cherché à savoir s'il pouvait dialoguer et trouver un compromis.
Quelle a été votre réaction ?
La question n'était pas de savoir si c'était avec lui ou pas, qu'on devait discuter. Nous voulions nous assurer que notre pays était définitivement libéré, que Blaise Compaoré n'était pas là, c'était cela notre objectif. Nous l'avons signifié au Général Gilbert Diendéré qui a essayé de résister à un moment donné. Mais vu notre résistance, il a fini par céder, et il a passé des coups de fil. Voilà comment nous avons réussi à entrer à Kosyam.
Vous avez ainsi pu rencontrer le président, dans quel état l'avez-vous trouvé ?
On dit que chaque chose à son temps. Il y a une période où il faut tout dire. Il y a des moments aussi où il faut vraiment être plus discret et plus silencieux. Le moment n'est vraiment pas propice pour moi de m'appesantir sur certaines situations, étant donné que le contexte actuel n'est pas favorable véritablement. Le président Compaoré vit toujours, le régime a toujours ses racines et ses tentacules dans le pays. C'est comme j'ai dit, prudence et faisons toujours attention parce que le combat que nous menons, tout le monde n'a pas la même façon de voir les choses et aujourd'hui, les mots que nous plaçons souvent doivent être empreints de prudence. Mais, ce que je peux vous dire, c'est que le président Compaoré personnellement, c'était la première fois que je le rencontrais en face.
Deuxièmement, comme je ne l'avais pas vu avant, je ne peux me permettre un certain nombre de jugements qui peuvent être faux. Mais ce qu'il faut retenir, je l'ai trouvé comme on pourrait trouver tout homme qui attend le dernier jugement. Ce qui nous intéressait, c'était de le rappeler qu'il y a eu déjà du sang versé, et qu'il fallait qu'il quitte le pouvoir. J'avoue d'ailleurs que de notre contact, tout ce qu'il nous a fait comprendre, c'est qu'il voulait remettre un pays stable à un président démocratiquement élu, chose que nous avons trouvé insensée parce que pour nous, il n'avait pas besoin de passer par tout ça pour nous proposer cela.
Déjà, il y a eu du sang versé et qu'est-ce que nous, on peut attendre de lui ? Rien. Nous avons eu l'occasion de lui signifier cela et je crois qu'il a compris que tout était fini, vu la population qui était dans la rue. Il n'y avait rien à dire, il fallait seulement qu'il s'en aille. Il nous a même demandé de faire venir les médias ce jour-là pour qu'il fasse sa déclaration. Il n'a pas tenu sa parole ; ce qui m'a amené à me rendre dans certaines radios pour demander qu'on organise une marche le 31 octobre matin sur Kosyam, voici un peu comment ça s'est passé.
Vous jouez la carte de la prudence, bien qu'il soit parti…
Vous savez, il est parti sans l'être vraiment. Ça, je vous le dis aujourd'hui. Il est parti, mais toujours le CDP (Ndlr, l'entretien a eu lieu avant la suspension du parti) existe, les anciens commanditaires sont toujours aux commandes. Je suppose que le gouvernement actuel a beaucoup à faire, le président de la transition a beaucoup à faire, parce que c'est toujours le système qui est aux affaires, aux économies, au niveau des finances, de la fonction publique un peu partout, ils sont toujours là. Donc, on ne peut pas dire que c'est un système qui est déraciné. Il reste maintenant à travailler à situer les responsabilités, afin qu'on puisse pardonner dans ce pays, et aller sur de nouvelles bases ; sinon, pour l'instant, je crois que rien n'est encore fait.
A l'issue de votre rencontre, il vous a promis qu'il rendrait le pouvoir, mais vous vous êtes rendu compte plus tard que ce n'était pas le cas. Vous êtes- vous senti trahi ?
Vous savez, de par le passé, on a entendu que c'est quelqu'un qui a toujours roulé les gens dans la farine ; donc pour moi, effectivement ce jour c'était le comble parce que je ne pouvais pas imaginer que nous jeunes, on puisse se trouver dans une telle situation. Pour moi, il fallait qu'il parte, il a décidé de partir, il n'y'avait pas de raison qu'il revienne sur sa décision. J'étais vraiment dans une de ces colères. Quand bien même il est parti du pays, reconnaissons qu'il n'a pas été assez humilié comme certains présidents d'autres pays, donc il peut d'abord s'estimer heureux et reconnaître que le peuple burkinabé est un peuple intelligent. Nous n'avons pas compris vraiment ce qu'il voulait faire, le message qu'il a voulu réellement donner. Mais avec le recul, nous avons compris que c'est quelqu'un qui n'a pas véritablement aimé pas son pays.
Est-ce que au moment où vous rencontriez le président, vous avez vu le lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida ?
Oui, il était à Kosyam et il était même dans la discussion ce jour. Je ne le connaissais pas. Je l'ai connu véritablement le 31 octobre au matin, lors des échanges à l'Etat-major général des armées.
Et là, vous vous êtes rappelé qu'il était aux côtés du président lors de vos discussions…
Il était adjoint de la sécurité du président ; donc sa présence était naturelle. De toutes les façons, les informations que j'avais sur lui n'étaient pas mauvaises ; bien au contraire. J'ai entendu que c'était un homme qui était bien dans la tête, qui savait prendre le bon côté des choses, qui n'était pas aussi négatif comme on le disait de certains. Du coup, je me suis dit qu'il pouvait être l'homme de la situation.
Dans une famille, on peut avoir un père qui est mauvais ; mais ce n'est pas pour autant que les enfants le soient aussi. Sur cette base, je me suis dit que le colonel Zida peut faire l'affaire des burkinabè et je n'ai pas hésité à porter mon choix sur lui en son temps. Je rappelle que même quand nous sommes allés pour installer le poste de commandement au camp Guillaume, lors des échanges, il fallait choisir un président de transition et nous avons porté notre choix sur lui.
Vous avez donc eu des informations sur lui avant de porter votre choix ?
Oui, même dans le milieu militaire, beaucoup m'ont dit de ne pas hésiter à le choisir parce que c'est lui qui peut instaurer l'unité entre les militaires. J'ai pris le temps de consulter les uns et les autres et j'ai échangé avec beaucoup de militaires, des hauts gradés. Aujourd'hui, je suis plus caché parce que j'ai compris qu'avec la lutte que nous avons menée, chacun essaie de tirer la couverture sur soi ; donc j'évite au maximum la publicité par rapport à ces questions. C'est pourquoi j'évite les médias.
Sinon, avant j'ai beaucoup travaillé avec les hommes politiques qui connaissaient le lieutenant-colonel Zida et avec les militaires. Il est ressorti que c'est celui qui pouvait proposer un compromis entre les forces de défense et de sécurité. Nous sommes en train de travailler à ce qu'à l'issue de cette transition, le peuple burkinabè sorte plus grand et soit une référence pour les autres pays.
On a ouïe dire que vous avez proposé le poste de président à Gilbert Diendéré quand vous êtes entrés à Kosyam, est-ce vrai ?
Je dis toujours que c'est trop tôt pour venir sur certaines choses. J'ai entendu ça aussi. C'est vrai que j'ai dit des choses, mais c'est comme je vous dis, je vais revenir sur tout ça parce qu'il y'a beaucoup de choses qu'il faille élucider concernant Kosyam. Je crois qu'en temps opportun, je vais revenir la-dessus.
Maintenant que les organes de la transition sont lancés, qu'est-ce que vous attendez de ces nouvelles autorités ?
Moi, j'ai foi en l'homme, j'ai toujours dis que j'ai confiance en l'homme jusqu'à ce qu'il trahisse et qu'il nous montre qu'on ne peut pas lui faire confiance. Aujourd'hui, ce que je peux dire, c'est que nous attendons beaucoup des autorités. Nous attendons que chacun puisse rentrer dans ses droits, que tous ceux qui ont été lésés, puissent avoir justice ; que les crimes non élucidés soient élucidés ; que la question de Thomas Sankara puisse être résolu ; que la mort de Norbert Zongo et de ses compagnons soit élucidée ; les crimes économiques, qu'on remette ça sur la table. C'est vrai qu'en une année, on ne peut pas tout faire, mais il faut poser de véritables bases pour un nettoyage. Il faut montrer que le peuple burkinabé peut avoir vraiment confiance en ses dirigeants, en ceux qui sont au-devant de la scène et que le peuple peut avoir aujourd'hui, espoir pour un lendemain meilleur. Nous ne disons pas de changer tout cela par un bâton magique, mais qu'ils affichent leur volonté par des actions concrètes en posant les jalons de cette justice sociale.
Je suis au CNT (Conseil national de la transition, ndlr), je suis même le président du groupe parlementaire Organisation de la société civile. C'est l'occasion pour moi de dire que nous allons proposer un certain nombre de choses allant dans ce sens-là. Nous allons aller plus loin, nous allons demander qu'il y ‘ait des enquêtes parlementaires sur des aspects bien donnés, nous n'allons pas lésiner sur notre engagement.
Avez-vous confiance aux autorités de la transition pour faire aussi la lumière sur ces citoyens tués lors des évènements ?
Je dis que c'est à nous de faire ce travail. Parce qu'il ne suffit pas seulement de dire que nous avons confiance aux autorités. La jeunesse doit prendre ses responsabilités comme on l'a fait. Il faut mettre les autorités devant les faits. Si aujourd'hui, nous avons des camarades qui sont tombés sur le champ de bataille, nous avons le plein devoir de demander aux autorités d'éclaircir cette situation et de faire passer les coupables devant les tribunaux. C'est seulement à ce prix que les victimes vont reposer dans la paix et la tranquillité. Ce qui nous reste à faire, c'est de travailler afin que le combat de ceux qui sont tombés ne soit pas vain. Aujourd'hui, qu'on le veuille ou non, nous avons le devoir de faire avancer les choses, de rendre justice à ceux qui sont morts. Il faut que tout soit clair.
Quelques semaines après l'insurrection populaire, vous avez été victime de cambriolage. Faites-vous un lien avec l'insurrection populaire ?
Non, moi je ne fais pas de lien. Je pense que ça doit être une coïncidence. Je n'indexe personne, je n'accuse personne. C'est peut-être des voleurs qui pensent que parce que je suis au CNT, j'ai de l'argent chez moi ou qui veulent m'intimider. De toutes les façons, je ne m'intéresse pas à ça, parce que je me dis qu'il ne faut pas mettre des barrières entre ce que je veux faire actuellement et ce genre de chose. Avant la venue des voleurs, j'ai reçu des appels de menaces, même aujourd'hui (ndlr, l'interview a eu lieu le 13 décembre), j'en ai reçu. C'était devant tout le monde à la maison du peuple. Je reçois des appels de menace chaque fois. On n'évite d'en parler. Mon témoins c'était Aziz Sana du mouvement ça suffit. Depuis un moment, je vis ainsi. La dernière fois, quand j'étais au centre de presse Norbert Zongo, j'ai reçu un appel qui disait de quitter les lieux parce que je suis en danger, j'ai dit à mes amis que ça devient de la foutaise, je suis burkinabé, je ne bouge pas.
Pour l'infraction commise chez moi, ce jour j'étais avec des amis, vers minuit ils sont partis. Je suis rentré dans ma chambre, les enfants étaient de l'autre côté, j'ai bien fermé mes portes. Quand ils sont venus, ils ont cisaillé la porte, les fenêtres, ils sont rentrés. Il y avait des documents dans mes tiroirs, ils ont tout pris. En plus des documents, ils ont ramassé mes téléphones portables. Ils n'ont touché ni à la moto, ni aux choses qui sont à l'intérieur. Je ne sais pas ce que ces gens voulaient véritablement. Je veux soulever que depuis un moment, dans le cadre de la lutte que nous menons au sein du CNT, j'ai entendu beaucoup de choses me concernant, concernant des camarades.
La seconde phase de notre lutte se trouve au CNT, parce qu'il ne faut pas laisser les gens croire que la lutte que nous avons menée va être détournée à d'autres fins. Nous allons suivre pas à pas, durant les douze mois de transition, pour voir clair et nous allons aider les premiers responsables de ce pays à prendre les décisions qui siéent, afin de rétablir la dignité du peuple burkinabé. Et pour cela, j'ai dit au CNT que tous ceux qui ont accumulé des parcelles au fil des années, nous jeunes allons poursuivre les grands propriétaires terriens, ceux qui ont pris des espaces verts, qui ont construit des immeubles pour louer à l'Etat et qui tirent profit sans payer les impôts. Nous n'allons pas laisser passer. C'est un combat que nous allons mener, même au prix de notre vie. Nous ne plaisantons pas. Je l'ai dit en public et c'est juste après cela que ma maison a été attaquée. Je ne dis pas qu'il y'a un lien, mais je dis seulement qu'aujourd'hui, rien ne peut faiblir notre engagement. Raison pour laquelle nous sommes allés au CNT, sinon on aurait pu rester en marge comme certains, et critiquer. Si j'ai la possibilité d'être au-devant des choses pour apporter ma façon de voir, je vais le faire. Je sais que je ne peux pas seulement me faire des amis, j'ai des ennemis surement.
Est-ce que vous avez l'impression de vivre actuellement dans l'insécurité au regard des menaces ?
Honnêtement, je ne sais pas. Je sais seulement que je dois être méfiant, je dois rester sur mes gardes. Ce que je vis aujourd'hui, je ne peux pas trop en parler parce que j'ai pris des responsabilités et j'ai pris des dispositions pour véritablement faire face au chaos. Je n'en veux pas à ceux qui m'en veulent ; je leur souhaite du courage. S'ils pensent que c'est la meilleure manière de résoudre leurs problèmes et d'avoir la paix du cœur, tant mieux. Mais je sais qu'aujourd'hui, rien ne peut m'amener à reculer. J'ai sacrifié ma famille, j'ai sacrifié des relations, j'ai même osé là où personne ne pouvait imaginer. Moi je sais, mes amis le savent. Je crois que notre devoir aujourd'hui, c'est de travailler à ce qu'à la fin de cette transition, le peuple se rende compte qu'effectivement, il y a des jeunes qui ont pris des engagements, qui se sont donnés et que nous avons retrouvé notre dignité, notre liberté.
Quel est l'avenir du collectif anti-référendum, maintenant que la situation a évolué ?
Nous avons entamé une tournée dans les 13 régions pour rencontrer des organisations de la société civile. Après, nous organisons un congrès en février. Pour le moment, nous avons l'ambition d'en faire un mouvement panafricain. Il y a même nos amis de la diaspora qui seront là, à l'occasion de ce congrès.
Il se dit que vous êtes membre d'un parti politique, est-ce vrai ?
Très honnêtement, actuellement, j'ai des priorités. Chacun, à un moment donné, a eu un penchant d'une façon ou d'une autre. Mais, lorsqu'on fait un choix dans la vie, on l'assume. Aujourd'hui, c'est clair, je suis de la société civile et je l'ai toujours assumé. Le jour où j'appartiendrai à un parti, je sortirai officiellement, comme je l'ai fait dans le CAR et je me battrai pour les objectifs de ce parti avec toutes les responsabilités possibles.
Propos recueillis par Tiga Cheick Sawadogo
Lefaso.net
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