Situation nationale : Des polémiques inutiles
Comme rebouté par la majorité des Burkinabè et les observateurs, notre pays a connu son « jeudi noir » en ce 30 octobre 2014. En effet, l'insurrection du peuple contre la patrimonialisation du pouvoir, a conduit entre autres, près d'une trentaine de pertes en vies humaines, à plus d'une centaine de blessés, à la prise et à l'incendie de l'Assemblée nationale, à de nombreux dégâts matériels ; et finalement à la démission du Président Blaise COMPAORE le vendredi 31 octobre. De « jeudi noir », il est devenu un jour historique pour le Burkina Faso et toute l'Afrique, car ayant consacré le sacrifice du peuple et sa victoire sur ceux qui le bâillonnent.
Au lendemain de cette victoire historique, les polémiques et les accusations ont commencé à enfler contre certains acteurs de la société civile, comme quoi ils auraient favorisé la prise de pouvoir par les militaires. Certains même vont jusqu'à les accuser d'avoir « vendu la révolution » aux militaires. Tout ceci me semble inutile et dénuée d'honnêteté.
Hommage à tous les acteurs
Le Burkina Faso vient d'écrire l'une des pages les plus glorieuses de son histoire ainsi que de celle de tous les peuples qui luttent contre l'oppression. C'est le lieu pour moi de saluer le courage et la mémoire de toutes les victimes. Que la terre libre et digne de nos ancêtres leur accorde toute sa miséricorde.
Les évènements historiques qui viennent de se produire dans notre pays est le fruit de la lutte de différentes composantes de la société (organisations de la société civile, partis politiques, syndicats, secteur informel, élèves et étudiants, forces de défense et de sécurité, jeunes, vieux, femmes, chefs coutumiers et religieux, chômeurs, etc.). C'est la conjugaison des actions ou de l'inaction des uns et des autres qui ont permis au vaillant peuple du Burkina Faso de venir à bout de l'un des régimes les plus adoubés par la Communauté internationale et les plus craint de la sous-région ouest africaine.
Cette lutte de longue haleine engagé depuis des années, que je pourrais volontairement situer depuis un certain 13 décembre 1998, avec l'assassinat du journaliste Norbert ZONGO, s'est poursuivie avec des évènements importants comme l'organisation sur initiative de Zéphirin DIABRE en mai 2009 du Forum sur l'alternance, de la dénonciation en juillet 2009 par Salif DIALLO de la patrimonialisation du pouvoir d'Etat ; de la crise sociopolitique de 2011 consécutive à la mort de Justin ZONGO ; des différents marches et meetings de l'opposition politique et de la société civile contre la mise en place du Senat, la modification de l'article 37 et la tenue du referendum ; de la démission en janvier 2014 de ténors du CDP suivi de la création du MPP ; des actions d'interpellation du Balai citoyen contre par exemple les mauvais fonctionnement de la SONABEL et de l'hôpital SANOU Sourou de Bobo.
De l'accélération des évènements et la défaite de la majorité par « mort subite »
Mais les choses ont véritablement atteint leur vitesse de croisière à partir du mardi 28 octobre 2014, avec la marche « monstrueuse » de protestation contre le projet de loi du Gouvernement modifiant l'article 37 de la Constitution. Malgré la marche réussie des syndicats le lendemain 29 octobre, le Gouvernement à toujours maintenu son projet de loi et à même cru bon de mettre les députés de la majorité au vert à l'hotêl Azalaï, afin d'éviter tout risque de « prolongations » ou de tirs aux buts, dans le match qui l'oppose au peuple. Oubliant que le peuple s'entrainait depuis longtemps pour la finale, la majorité a été surprise de perdre l'ultime match par « mort subite » pendant les échauffements seulement, ce jeudi 30 octobre 2014. Sur cette même lancée, le peuple a donc exigé le départ du promoteur de ce match de gala (Blaise COMPAORE). Celui-ci après quelques passements de jambes, a fini par comprendre la détermination du Peuple et s'est résolu à quitter précipitamment la loge officielle le vendredi 31 octobre 2014, avec l'aide précieuse du partenaire officiel, champion de la théorie de « la non ingérence et la non indifférence ». Suivez mon regard !
Du louvoiement des partis politiques à la prise de responsabilités des militaires
Dans cette accélération inattendue des évènements en cette fin du mois d'octobre 2014, les partis politiques dont les missions principales sont la conquête et la gestion du pouvoir d'Etat, m'ont semblé en retrait, voire même quelque peu absents. Je ne sais s'ils ont été « dépassés » par les évènements, ou c'est en « bons politiciens » que chacun avait déjà commencé à faire des calculs… En tous les cas, on voyait et sentait davantage sur le terrain des organisations de la société civile, l'armée et certaines personnes comme le Général LOUGUE. Du jeudi 30 octobre jusqu'au samedi 1er novembre dans la mi-journée tout le monde ou presque appelait l'armée à prendre ses responsabilités. C'est ainsi que l'Etat major général des armées et le Camp Guillaume OUEDRAOGO étaient aussi devenus des lieux névralgiques de l'insurrection, à l'image de la place de la révolution.
C'est aussi dans cette acceptation tacite de l'armée, que les noms du Général Kwamé LOUGUE, du Général Honoré Nabéré TRAORE ainsi que du Lieutenant-colonel Yacouba Isaac ZIDA ont circulé comme chefs d'Etat en remplacement du Président Blaise COMPAORE démissionnaire. Vous remarqueriez avec moi, que durant toute cette gymnastique, aucune voix dissonante venant des partis politiques ou de la société ne s'est hautement et publiquement élevée pour contester la prise de pouvoir par les militaires, en dehors bien sûr de la contestation populaire de la personne du Général Honoré Nabéré TRAORE, vu comme un proche du pouvoir déchu. Au contraire, les gens me semble t-il, étaient plutôt soulagés, voir heureux de constater que l'armée a pu en ce samedi 1er novembre 2014, résoudre ses contradictions internes en désignant de façon consensuelle le Lieutenant-colonel Yacouba Isaac ZIDA comme assumant les fonctions de Chef de l'Etat.
De l'armée comme le moindre mal à cette étape de l'évolution de notre histoire
C'est vrai que le principe de la prise de pouvoir par l'armée dans un Etat de droit est difficilement acceptable, mais il convient aussi de tenir compte du contexte et de la réalité du moment que nous impose les évènements.
Tout d'abord, quoi qu'on dise la prise de pouvoir par l'armée a permis d'assurer la continuité de l'Etat au plus haut niveau, de rassurer les populations, de ramener le calme et de mettre fin au désordre et aux nombreux pillages. Pour ce faire, tous ceux qui ont œuvré pour qu'il en soit ainsi sont à encourager et à féliciter. C'est aussi le lieu de réaffirmer mon soutien le plus total au Balai citoyen, au Comité anti referendum, au Pr Augustin LOADA ainsi qu'à tous les autres mouvements, partis politiques et personnes, qui ont eu l'intelligence de prendre attache avec des militaires dans des moments incertains pour le pays, qui ont eu le courage de se rendre à l'Etat major et même à Kosyam pour échanger avec l'armée ou l'ex-Président, qui ont eu la grandeur d'esprit de mettre l'intérêt supérieur de la nation au dessus de toutes autres considérations. Les évènements du dimanche 2 novembre, prouvent à souhait que d'autres personnes à votre place auraient fait leur propre promotion… Les différents actes qui ont été posés par vous ou supposés comme tel, dans le feu de l'action, dans l'urgence, s'ils ont été guidés par le principe de l'intérêt général, sont louables et nobles. Vous devez en être fier et nous nous sommes fiers de vous pour cela. Vos actes ont permis au Burkina Faso d'être toujours débout, et c'est vraiment l'essentiel en ces moments.
C'est vrai qu'à partir du 1er novembre au soir, la polémique a commencé à enfler, comme quoi : la transition devrait être civile, le Balai citoyen aurait vendu la révolution du peuple aux militaires, le Pr LOADA aurait proposé la suspension de la Constitution et que la population devait se mobiliser le dimanche 2 novembre pour « chasser » l'armée du pouvoir, etc.
Certes tout ceci peut paraître vrai après coup, mais dans le feu de l'action, il fallait parer au plus pressé. Et je pense à mon humble avis qu'il est intellectuellement et moralement indécent que des gens qui n'ont pas agi concrètement face à une situation d'urgence, puissent se donner raison et être plébiscités face à ceux qui sont allés au devant de l'urgence et ont proposée des pistes de solutions. Pour paraphraser Berthold Brecht, je dirais que ceux qui agissent ne sont pas sûrs d'avoir raison, mais ceux qui n'agissent pas ont tort. Même si ces solutions après réflexion présentent un certain nombre d'insuffisances, voire des dangers pour la démocratie, il n'en demeure pas moins qu'en son temps et jusqu'au jour d'aujourd'hui ce sont elles qui convenaient et qui conviennent toujours à la réalité de terrain. Parce que jusqu'à preuve du contraire, la Constitution ne pouvait pas s'appliquer dans certaines de ses dispositions après la démission du Président du Faso et l'incendie de l'Assemblée nationale ; la charte de la transition n'est pas encore prête ; les civils n'ont pas encore réussi à trouver le consensus autour de la personnalité qui doit diriger la transition et ce depuis le dimanche 02 novembre 2014, date de l'annonce par l'armée de sa disponibilité à transmettre le pouvoir à un civil.
Questions à ceux qui ne voulaient pas que l'armée assume…
Ce qui m'amène à demander à tous ceux qui pourfendent aujourd'hui l'armée et certaines organisations de la société civile, ce qu'il fallait faire :
fallait-il qu'une partie de l'armée attende que Blaise COMPAORE et Honoré N. TRAORE ordonne davantage le massacre du peuple, conformément aux ordres du Chef suprême des armées ? ;
fallait-il attendre que le Conseil constitutionnel constate la vacance du pouvoir, après la démission du Président COMPAORE, pour que le Burkina Faso ait un chef d'Etat à sa tête ? ;
fallait-il attendre que le Conseil constitutionnel constate la vacance du pouvoir et aille chercher le Président de l'Assemblée nationale, on ne sait où, pour venir l'investir comme chef d'Etat par intérim, conformément à la Constitution ? Quelle pourrait être la réaction du Peuple ;
fallait-il attendre d'organiser une large concertation avec toutes les forces vives (comme le préconise certains), avant que le pays ne soit dirigé ? ; je vous rappelle qu'à cette étape de notre lutte, le Gouvernement était également dissous. Cela fait plus d'une semaine que les civils sont en concertation pour trouver une personnalité consensuelle… ;
l'armée pouvait-elle raisonnablement prendre le pouvoir sans la dissolution ou la suspension de la Constitution ? ;
le Burkina Faso serait-il encore stable et en paix si l'armée n'avait pas rapidement pris les choses en main ? rappelez-vous qu'on n'était pas loin du chaos et de l'anarchie avec les saccages et incendies des biens publics et privés, les pillages ;
peut-on imager ou accepter que le pouvoir d'un Etat souverain soit vacant pendant des heures et des jours ?
Etc.
Donnez-moi s'il vous plaît des réponses raisonnables à ces interrogations, afin de me rendre moins ignorant après leur lecture.
Je demande tout simplement aux uns et autres de se remettre dans notre contexte et dans la réalité de terrain des 30 et 31 octobre 2014 pour porter des jugements ou des commentaires sur les différents actes qui ont été posés.
Des gens ont agi en recherchant le meilleur pour le peuple burkinabè, et c'est ce qui doit être plus important à mon avis. Les insuffisances qui ont pu être constatées par la suite doivent être améliorées dans la concertation et le dialogue entre les différents responsables, mais non sur les médias et la place publique.
A vrai dire, ce sont ceux qui ne font rien qui ne se trompent pas !
Vive les Organisations de la société civile
Vive les parties politiques
Vive les forces de défense et de sécurité
Vive la transition civile
Vive le Peuple
Dieu bénisse le Burkina Faso
La patrie ou la mort, nous vaincrons !
Louomiapy KINI
kinifilho@yahoo.fr
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