Sayouba Traoré : Les priorités de la Transition
Quand on prépare un accouchement, tous savent que l'épisode qu'on s'apprête à vivre va imposer des contraintes au corps de la future maman. Mais on se rassure en se disant que, de toutes façons, il le faut. Et puis les médecins assurent que les choses rentreront dans l'ordre après l'épreuve. Dans la vie politique nationale, nous sommes dans une semblable situation. Un inédit qui impose des choix et des réajustements. Avec des priorités incontournables.
Première et importante priorité : nous ne devons pas louper la Transition. Il faut y mettre toutes nos forces et toute notre détermination. Car toute ménagère sait qu'on ne peut pas balayer sur une natte. Il faut d'abord saisir cette natte à pleines mains et la secouer fortement. Ensuite, on entreprend le travail de nettoyage. Secouer la natte, l'actualité récente vient de le réaliser, avec ses héros et ses mauvais perdants. Nous incombe le travail de nettoyage nécessaire. Et il importe de mettre un terme à la longue succession de rendez-vous manqués. Les autres qui réussissent à le faire dans leur pays ne sont pas plus intelligents que nous. Nous avons fait les mêmes bancs des mêmes écoles.
Renouveau, Redressement, Salut national, Révolution, Rectification, puis processus démocratique ne sont que des masques successifs. Si bien que le processus démocratique qui vient de s'achever brutalement ne pouvait abuser que ceux qui avaient intérêt à l'être. On voyait très nettement qu'il n'y avait pas de démocratie au Burkina Faso. Tout simplement parce que les conditions ne sont pas réunies pour que la démocratie puisse se matérialiser dans ce pays. Les différentes élections qui ont eu lieu depuis Juin 1991 n'ont été que de pauvres cache-sexe. Et ce ne sont certainement pas les différentes révisions constitutionnelles qui vont convaincre de la bonne volonté des tenants du pouvoir défunt à instaurer une réelle démocratie.
Aujourd'hui, nous sommes devant une tâche cruciale. Et il devient nettement évident que les choses doivent évoluer différemment. Nous devons aborder et discuter les questions qui fâchent : le rôle de l'armée, la construction d'institutions réellement démocratiques, une fonction publique neutre, une presse véritablement libre, une opinion publique citoyenne. Mais tout cela passe par l'instauration et le libre fonctionnement d'un Gouvernement de Transition conduit par des civils. Il ne s'agit pas d'ostraciser qui que ce soit. Mais à chacun son rôle et à chacun sa partition. C'est une question de bon sens : on ne peut pas discuter avec un frère muni d'une kalachnikov.
Le Gouvernement de Transition
Présidentielles, législatives ou territoriales, les différentes consultations électorales de l'ère Compaoré laissent un souvenir amer dans la bouche de chacun d'entre nous. Soit parce qu'on se sent volé, soit parce qu'un voleur ne peut manquer de se sentir un jour tiraillé par sa propre conscience. Pourquoi ? Tout simplement parce que « Blaise ne pouvait pas perdre ». Si un président sortant ne peut pas perdre une élection, c'est que celle-ci n'est en rien démocratique. Il arrive un moment où le maquillage ne suffit plus à filouter le prétendant. Et c'est justement l'expérience de ces élections tronquées qui a provoqué la méfiance vis-à-vis du référendum, puis cristallisé le rejet de cette consultation. Et dans le camp présidentiel, la résistance populaire a entraîné un syndrome de citadelle assiégée, puis dans les têtes un réflexe de sclérose.
Tout le monde est d'accord là-dessus. Ce qu'il faut aujourd'hui, pour amorcer enfin un début de renaissance, c'est un Gouvernement de Transition. Il ne s'agit nullement de permettre aux autres de « profiter à leur tour ». La question, vitale et incontournable, est : « un Gouvernement de Transition comment et pourquoi faire ? ». Gouvernement de Transition parce que c'est une étape nécessaire pour conjuguer les efforts en vue du relèvement national. L'erreur serait de vouloir solder aussi précipitamment les comptes du passé. Cela viendra nécessairement en temps opportun. Gouvernement de Transition enfin parce qu'il s'agit de travailler pour sorti r une fois pour toute des pouvoirs d'exception, déguisés ou mal maquillés. Il s'agit de poser ensemble les bases de notre devenir commun. Un devenir que nous souhaitons équitable et apaisé.
Une constitution véritablement démocratique
En juin 1991, de guerre lasse, l'opposition coalisée dans la CFD a dû se contenter des demi¬-mesures et des faux-semblants contenus dans le projet de constitution. On savait ce texte imparfait, et même dangereux sous certains aspects, mais on a été obligé d'accepter l'os que le parti présidentiel de l'époque octroyait généreusement. Ce texte a donc été adopté. Aujourd'hui, on a pu juger cette constitution à l'usage. Le président sorti avait beau jeu de « jurer solennellement de défendre la constitution », puisqu'il s'agit d'une loi fondamentale qu'il s'est taillée à ses mesures.
L'une des tâches les plus urgentes de ce Gouvernement de Transition, c'est de travailler au toilettage de la constitution. Il s'agit de fixer une fois pour toute, les responsabilités et les prérogatives de chaque corps de l'Etat. Mais avant tout, il s'agit de remettre le citoyen au centre de la vie politique du pays. Parce que le seul pouvoir véritablement démocratique, c'est celui qu'on gagne sur décision des citoyens et celui qu'on perd sur décision des citoyens. Le reste, c'est du carnaval qui nous a déjà été imposé.
Refonder les institutions
Les citoyens voient la république à travers les agents de l'Etat. Cela est très certainement réducteur, mais c'est aujourd'hui une grande partie de la réalité. Nul, parmi les Burkinabè, ne peut vraiment se dire concerné par ce qui se passe à Ouagadougou. Même dans la capitale, il n'est pas rare d'entendre ces propos chargés de sens : « c'est entre eux là-bas ». Du reste, on considère qu'il est irresponsable d'aller se mêler d'affaires « qui ne vous regardent pas ». Le rédacteur de ces lignes a très souvent reçu le conseil « d'avoir à faire attention ». Il est vrai que le mois d'octobre 2014 a changé sensiblement la donne.
Il reste, cependant, que le Gouvernement de Transition doit travailler à refonder les institutions. On ne peut sérieusement demander à une équipe de faire l'éducation civique de la population en une année. Mais il faut poser les garde-fous nécessaires pour les femmes et les hommes chargés de faire fonctionner les organes de l'Etat. A commencer par l'armée, la fonction publique, la magistrature.
Le rôle de l'armée
C'est là une question importante. Une question si cruciale qu'elle hypothèque toute réflexion concernant l'avenir de notre pays. Et même quand le peuple se soulève, c'est toujours l'armée qui garde la haute main sur les affaires. Il se trouve que nos professeurs nous ont dit que dans une République normale, avec une constitution normale qui fixe la place de chacun et le rôle de chaque institution, le rôle de l'armée c'est la défense du territoire et de ses habitants. C'est pourquoi, lorsqu'il y a une crise politique majeure risquant de dégénérer, on fait appel à l'armée pour « rétablir l'ordre républicain ». Comment faire quand cette armée devient elle-même un parti politique, ou quand une fraction de cette armée nationale devient le service d'ordre du parti présidentiel ? La question n'est pas anodine. Elle n'est pas dénuée de sens non plus. Il n'est pas certain que nos militaires eux-mêmes soient fiers du rôle de loups-garous que les politiques leur réservent.
Ce ne sont pas des accusations en l'air. Il suffit de regarder autour de soi. Qui peut expliquer pourquoi on a besoin d'un Régiment de Sécurité Présidentielle, alors que nous avons une gendarmerie, la police, les compagnies républicaines de sécurité et la garde républicaine ? Et pourquoi la sécurité pour le président tout seul ? Ce n'est pas sans raison que le rapport du collège des sages a préconisé en son temps le recasernement du Conseil de l'Entente.
Notre armée doit retrouver sa fonction première et retrouver sa dignité à travers la noblesse de sa mission de défense nationale, et surtout de neutralité dans les joutes politiques. Tant que cela ne sera pas fait, nous ne pourrons jamais établir une pleine démocratie.
La fonction publique
Le corps des fonctionnaires forme la main-d'œuvre dont l'Etat a besoin pour faire marcher ses institutions. Si on veut que les institutions soient au service du citoyen, il est nécessaire que le fonctionnaire soit apolitique dans l'exercice de ses fonctions. Qui peut imaginer un seul instant un médecin refusant de soigner les citoyens qui ne seraient pas membres du même parti politique que lui ? Comment imaginer un policier refusant de porter secours à un citoyen victime d'agression, au prétexte qu'il ne partage pas ses idées politiques ou ses convictions religieuses ? Cela ne se peut. Et cela ne doit pas être. Et pourtant !
Partout, dans les pays africains où des élections ont eu lieu, il y a eu la revendication d'une Commission Nationale Électorale Indépendante (CENI). L'organisateur naturel d'un scrutin, c'est la fonction publique. Et l'arbitre naturel d'une consultation électorale, c'est la magistrature. Si on demande un autre arbitre, qui plus est qualifié « d'indépendante », c'est bien parce qu'on ne fait pas confiance à cet organisateur naturel et encore moins à cet arbitre naturel.
Et c'est en vertu de cette situation que le Gouvernement de Transition doit travailler à redonner à la fonction publique son rôle premier. Pour ce qui est de notre magistrature, il y a tellement de choses à dire qu'on pourrait y consacrer un livre. Son rôle est central et sa pourriture est avancée.
Une presse véritablement libre
On peut entraver la liberté de la presse par plusieurs procédés. La mise à mort : cas de Norbert Zongo. Le chantage à l'emploi : les syndicats peuvent en témoigner. On peut vous octroyer toutes les autorisations nécessaires et vous doter du matériel adéquat. Mais en prenant soin de vous priver d'argent pour le fonctionnement quotidien. Les journalistes qui doivent faire des reportages à pied ou par d'autres moyens similaires sont légions dans notre charmant pays.
Cela n'est pas sans conséquence. Car si la presse ne peut pas faire son travail, cela prive le citoyen d'informations. Il se trouve que chacun de nous a besoin de la bonne information pour se faire une idée de ce qui se passe dans le pays. Si la presse n'avait pas fait son travail, aucun groupe de manifestants n'aurait pu agir efficacement, car tenu volontairement dans l'ignorance des intentions et actions du président sorti. En tout cas, il ne fallait pas compter sur la presse d'Etat.
On va tenter de résumer. Le carburant qui fait tourner la République, c'est la démocratie. Or la démocratie suppose la liberté. Et ce qui sous-tend cette liberté, c'est l'égalité pour tous. « Un homme, un vote ! », disait feu Nelson Mandela. Et tout cela est possible à cause de la liberté de la presse.
Dans ce volet, deux tâches essentielles attendent le Gouvernement de Transition. Permettre aux citoyens un libre et égal accès à l'information, et assurer aux journalistes les conditions pour un exercice libre de leur métier. Bien sûr, l'Etat ne va pas distribuer de l'argent et du matériel aux organes de presse. Mais le journaliste a besoin de savoir qu'il ne sera pas bastonné ou tué en faisant tout simplement son métier.
Le Chef de l'état
C'est à cause de ce poste que tous les malheurs nous sont tombés dessus. C'est à cause du fauteuil présidentiel qu'un homme martyrise ses semblables et se tient prêt à tuer son peuple. On ne doit plus permettre à la femme ou à l'homme qu'on y installe de devenir une sorte de Tarzan doté de tous les pouvoirs. Il n'est plus possible d'avoir un président chef de tout et de tous. Un homme de qui tout procède. Un homme magnifiquement solitaire dans sa toute puissance.
Des mécanismes existent pour limiter cette toute puissance. On doit désormais les activer et les surveiller avec la plus grande vigilance. Un président « propriétaire de tous les dossiers », ce n'est plus possible !
Les États Généraux de la Nation
Redonner son rôle à l'armée, reconstruire des institutions réellement démocratiques, rebâtir une fonction publique neutre, une presse véritablement libre, la liste des objectifs est certainement plus longue. Le cadre qui permettrait de donner des orientations au Gouvernement de Transition, ce sont les États Généraux de la Nation. Cadre de réflexion réunissant tout ce que la nation compte d'intelligence humaine et d'expériences, cette instance à une double mission : tirer les leçons du passé et définir les modalités de sortie de la période d'exception.
Tirer les leçons du passé, c'est travailler avec lucidité et sans passion. Lucidité parce que rien ne doit être tabou. Sans passion parce que le but recherché c'est la justice et non la vengeance. La justice ouvre la voie à la réconciliation ; la vengeance ouvre la voie à d'autres vengeances.
TRAORE Sayouba
Écrivain, Journaliste
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