Pour un respect de la Constitution dans l'aménagement de la transition de l'après-Blaise Compaoré : Fondements, implications et pragmatisme d'une solution légale

Publié le lundi 10 novembre 2014


La crise socio-politique née de l'insurrection populaire du 30 octobre 2014 au Burkina Faso est une situation inédite et atypique. Les qualificatifs manquent pour dépeindre avec justesse cette situation. Et, surtout, tout le monde semble avoir été surpris par le départ de Blaise Compaoré, tant et si bien que sa succession devient problématique.




Au cœur de la guerre de succession, il y a d'un côté, l'Armée, qui a immédiatement pris les rênes du pouvoir afin d'assurer, affirme-t-on, « continuité de l'Etat », de l'autre, le peuple en apparence uni, mais très hétérogène en réalité, qui n'entend guère se faire voler sa victoire. Si l'heure est aux transactions et concertations de tout genre, on s'inquiète sur le sort réservé à la Constitution et aux dispositions qu'elles renferment pour, entre autres, organiser la dévolution du pouvoir, en toute circonstance.


Certes, le caractère atypique de la situation peut faire penser que le droit n'est d'aucun secours. Et pourtant… Cette contribution vise justement à réaffirmer la place du droit dans la régulation de la vie de la nation.


On me reprochera un certain extrémisme légaliste, dans les scénarii esquissés pour la transition au lendemain de la Révolution d'octobre au Burkina Faso. Normal, je suis juriste, dira-t-on. Mon juridisme n'est cependant pas gratuit, abstrait, anti-pragmatique. Au contraire. Le droit n'est pas que théorie, jargon et affaire des palais. Le droit est une source inépuisable de ressources pour juguler les conflits sociaux, une source dont on ne finira jamais de découvrir les merveilles, pour qui sait aller jusqu'au fond des choses .


Le scénario le plus proche de ce que prévoit notre constitution, telle est mon hypothèse, est celui qui nous permettrait de maintenir, voire, de consolider notre processus démocratique. Le contraire nous en éloignera davantage. Mais, avant de revenir sur le caractère pragmatique du respect autant que faire se peut de la légalité dans notre situation, je voudrais brosser sommairement les implications d'un tel légalisme ainsi que les fondements, c'est-à-dire, les raisons qui poussent à préférer un tel sentier.


I. Les fondements


Pourquoi respecter le plus possible les dispositions constitutionnelles ? En d'autres termes, quelle est la base de mon plaidoyer pour un respect de la légalité dans la conduite de la transition ? Deux éléments parmi tant d'autres méritent d'être soulevés ici.


En premier lieu, parce que la Constitution est la base même du droit, ce que les Allemands appellent « Grundnorm » ! C'est le « Tênkugri » , pour reprendre cette expression heureuse en langue Moore. Dans la conception contemporaine du droit, inspirée par la théorie pure du droit de Hans Kelsen, il n'y a de règles de droit que parce qu'il y a une Constitution, cet ensemble de règles qui conditionne la validité de tout l'ordre juridique dans un Etat donné. En termes terre-à-terre, le droit n'existe, à travers ses différentes sources (lois, règlements, etc.), que parce que la Constitution le dit et le permet. Supprimez ou suspendez la constitution et vous suspendez ou supprimez le corpus juridique dans son ensemble. Le pouvoir en place se verrait reconnaître un pouvoir sans limite, sans possibilité de contrôle, basée sur sa seule volonté unilatérale.


Si nous voulons préserver les libertés, si nous voulons pouvoir invoquer des règles de droit, contre le pouvoir en place ou même contre nos pairs concitoyens, il nous faut une Constitution … en vigueur et non suspendue ou en veilleuse. L'existence d'une Constitution en vigueur est une condition nécessaire à l'existence d'un Etat de droit .

Or, la Constitution est un tout unique, depuis son préambule, jusqu'au corps des règles constitutionnelles proprement dit. Et c'est là mon deuxième argument : on ne peut décider d'appliquer certaines règles et en écarter d'autres. Rien ne justifierait cela, sinon la force majeure . Dans les circonstances actuelles, il est impossible d'invoquer la force majeure. En effet, la situation de vacance de pouvoir n'est guère une situation imprévue dans notre système juridique, et la transition par voie constitutionnelle ne s'est pas encore avérée impossible .


Enfin, il y a un fondement matériel à préférer le respect de la voie constitutionnelle, un fondement sociologique. La question de la succession de Blaise Compaoré ne se pose avec une telle acuité aujourd'hui que du fait de son départ anticipé, poussé à la porte par la rue qui lui a manifesté sans ambages son hostilité. Ce départ n'aurait pas été précipité si l'ex-président n'avait pas envisagé de modifier l'article 37 de cette constitution-là. On peut qualifier le mouvement d'insurrection populaire, comme une voie de fait avec pour objectif et/ou pour effet de préserver le droit, de protéger la constitution du 02 juin 1991. En d'autres termes, les Burkinabè n'ont pas pu supporter et accepter le projet de Blaise Compaoré et de la majorité politique d'alors d'attenter à l'intégrité de la Constitution.


On ne saurait concevoir que le résultat de cette lutte soit purement et simplement la suspension de cette Constitution, pour l'intégrité de laquelle des personnes ont payé de leur vie, ou même un refus d'en appliquer certaines de ses dispositions.

La plupart des arguments en faveur de la suspension de la Constitution ou, même, de l'ignorance des règles constitutionnelles dans la conception d'un pouvoir de transition, se fondent sur l'impossibilité du Président de l'Assemblée nationale, successeur désigné, du fait de la non-opérationnalité du Sénat, d'occuper le poste. D'autres ajoutent le caractère impopulaire de la plupart des membres de l'Assemblée nationale. A leur intention, on peut relever simplement que les règles de fonctionnement de l'Assemblée nationale prévoient des situations dans lesquelles le Président de ladite institution serait empêché, ainsi que des dispositions pour organiser sa succession. De plus, il existe un Conseil constitutionnel qui est l'interprète par excellence de la Loi fondamentale. Ces voies n'ont encore fait l'objet d'aucune exploration sérieuse.

En ce qui concerne l'impopularité de certains députés, elles ne constituent pas une raison suffisante de déchéance du statut de député. Si la popularité était une condition de jouissance d'un statut de représentant du peuple, le Président français, François Hollande aurait quitté son fauteuil depuis fort longtemps, sa cote de popularité étant tombée à un niveau historique depuis le mois de septembre 2014 . Et sincèrement, je ne crois pas le peuple burkinabè revanchard. Epris de justice, oui… mais pas revanchard. On a l'avantage de connaître les hommes. On les aura à l'œil, ce d'autant plus que leur mentor n'est plus là pour leur garantir l'impunité. On pourra les tolérer, le temps d'une transition, le temps que de nouvelles élections législatives anticipées soient organisées . Cette solution est un moindre mal, à la fois d'un point de vue juridique et d'un point de vue pratique, en ce qu'elle nécessite le moins d'exercices d'équilibrisme .

Mais que signifierait alors le respect de la voie constitutionnelle ? Quelles en sont les implications.


II. Les implications d'un scénario légaliste


La voie légale de la transition démocratique de l'après-Blaise Compaoré comporte un certain nombre d'actions à poser. Mais, surtout, des acteurs jusque-là tenus à l'écart doivent être impliqués.


A. Les acteurs


Le scénario consistant à se rapprocher le plus possible du respect de la légalité comporte principalement l'implication d'un certain nombre d'acteurs institutionnels jusque-là tenus à l'écart, non par ignorance, mais par méfiance des hommes forts du moment . Il s'agit principalement de l'Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel.


En premier lieu, l'Assemblée Nationale. On me rétorquera de suite que celle-ci n'existe plus. Je répondrai simplement que cela n'est pas exact, quoiqu'on puisse en penser.


La destruction des locaux abritant l'Assemblée nationale n'emporte pas dissolution de l'Assemblée nationale. L'article 90 de la Constitution prévoit qu'en cas de force majeure constatée par le Conseil constitutionnel, l'Assemblée nationale peut valablement délibérer dans un tout autre lieu que son siège . La Déclaration du Général Nabéré Honoré Traoré, premier candidat à la succession de Blaise à s'être déclaré, qui comportait une disposition dissolvant l'Assemblée nationale est nulle et de nul effet. Nulle tout simplement parce qu'il n'avait pas la qualité de Président du Faso, le seul attitré à prendre un acte portant cet effet. En effet, la déclaration intervient à un moment où l'ancien Président n'avait pas encore démissionné. La preuve, c'est qu'après le communiqué du général, le téméraire capitaine revenait avec plusieurs déclarations dans la soirée, une manière pour lui d'affirmer qu'il était encore là, en qualité de Président. Or, les communiqués ultérieurs, à la fois du Général Traoré et du Lieutenant-Colonel Zida, ne font plus mention de la dissolution de l'Assemblée nationale. La dissolution de l'Assemblée nationale, si elle a pu être consacrée, ne peut être que le fait de la suppression de la Constitution qui emporterait d'office la dissolution des institutions consacrées par elle. La suspension de la Constitution n'aurait pour effet que de suspendre également le fonctionnement des institutions de la république, non de les dissoudre. La levée d'une telle suspension rétablirait de plein droit ces organes dans leurs attributions


On peut par ailleurs se demander si la constitution a pu même être valablement suspendue. Là-dessus, nous avons de sérieux doutes. Une telle suspension équivaudrait purement et simplement à un coup d'Etat. Certes, le Lieutenant-Colonel Zida a, dans sa « Déclaration n°01 », communiquée immédiatement après la démission de Blaise Compaoré, prononcé la suspension de la Constitution . On peut se demander cependant s'il avait la qualité requise pour le faire. En effet, la Déclaration n'est pas signée par un Chef d'Etat, mais par une personnalité inconnue du paysage institutionnel burkinabè, à savoir, le représentant des forces vives de la nation et des forces armées nationales . C'est ignorer l'importance de la Constitution que de penser que n'importe qui, fut-il Lieutenant-Colonel, peut prononcer la suspension de celle-ci.


Par ailleurs, lui-même – ainsi que le parterre de ses supporters – dénie avoir fomenté un coup d'Etat. On comprendrait mal alors la suspension de la constitution par quelqu'un qui n'aurait pas opéré un coup d'Etat..


En résumé, pour qu'il puisse y avoir une suspension de la constitution qui emporterait d'office suspension de l'Assemblée nationale, il aurait fallu un coup d'Etat, et que la suspension soit le fait du nouveau chef de l'Etat, fauteur du coup d'Etat, ce que dénie formellement le LT Colonel Zida . C'est dire que l'Assemblée nationale n'est pas dissoute. Au pire des cas, elle est suspendue, et la suspension sera levée avec la suspension de la Constitution, à condition d'ailleurs qu'une telle suspension ait eu lieu.


En second lieu, le Conseil constitutionnel


Le sort du Conseil constitutionnel qui n'a fait l'objet d'aucune déclaration des prétendants à la présidence de la transition, dépend de celui de la constitution. Ainsi, si la constitution a pu être valablement suspendue, cela a emporté suspension également du Conseil constitutionnel. La levée de la suspension redonnerait une opérationnalité audit Conseil. Dès cet instant, cet organe devient central dans la résolution de la transition.


En principe, il revient à cet organe de constater la vacance du pouvoir, conformément aux dispositions de l'article 43 de la Constitution et d'organiser l'intérim.

On rétorquera que le Conseil constitutionnel n'est pas à même d'organiser l'intérim du fait de l'indisponibilité du Président de l'Assemblée nationale. A cela, on répondra qu'il revient au Conseil constitutionnel de le constater. Nul autre organe de l'Etat ne peut supposer à la place du Conseil constitutionnel que celui-ci se trouverait dans une impasse. L'article 152 de la Constitution le consacre comme le garant et l'interprète de la Constitution . Le dernier alinéa de l'article 157 renforce la compétence du Conseil constitutionnel, en matière constitutionnelle, en disposant que « Le Conseil constitutionnel peut se saisir de toutes questions relevant de sa compétence s'il le juge nécessaire ».


Cet organe de l'Etat regorge donc de ressources insoupçonnables pour répondre à des questions d'ordre constitutionnel. On ne peut présager, à sa place, d'une impossibilité pour lui de trouver une issue à un problème d'ordre constitutionnel.

L'implication du Conseil constitutionnel a d'ailleurs été invoquée dès les premières erreurs de la vacance de pouvoir et ce fut d'ailleurs avec surprise que les militaires s'autoproclamèrent chef de l'Etat sans consulter cet organe, alors même que ceux-ci nient avoir pris le pouvoir par coup d'Etat.


Si l'Assemblée nationale est rétablie dans ses droits, le Conseil constitutionnel pourrait tout simplement confier l'intérim à celui qui assumera la fonction de Président de cette assemblée. Le Conseil constitutionnel pourrait privilégier une autre personne, de concert avec l'ensemble des forces en présence, si le choix du Président de l'Assemblée rencontrait un refus de celles-ci. Il en a le pouvoir, étant maître de l'interprétation des règles constitutionnelles et pouvant, pour ce faire, se fonder sur des arguments d'opportunité comme cela est courant en Afrique .


A ces acteurs constitutionnels, les circonstances imposent l'implication d'autres acteurs, dont la plupart sont d'ailleurs déjà à pied d'œuvre. Ce sont, entre autres, les partis politiques - de l'opposition, mais également de la majorité, les organisations de la société civile, les leaders religieux et traditionnels, les juristes, les forces armées, bref, tous ces acteurs qui sont aujourd'hui confondus dans la notion de « forces vives de la nation ».


Le caractère hétérogène et, surtout, pléthorique de ces forces vives requiert un tact, une démarche progressive, bien qu'inclusive, pour parvenir à une solution légalement et politiquement acceptable.


B. Les actions


Le processus de détermination d'une transition respectueuse des règles constitutionnelles implique que soient posées une séries d'actions, les unes appelant ou conditionnant les autres.


Pour que le processus puisse même être enclenché, il faut préalablement que l'on puisse se prévaloir de la Constitution. En d'autres termes, si le fait a fini par l'emporter sur le droit, c'est-à-dire, si nonobstant nos arguments remettant en cause la validité de la suspension de la constitution, on considère néanmoins qu'il y a suspension, la première mesure à prendre, c'est bien de lever la suspension de la constitution, pour donner force au droit.


Ce faisant, les institutions de la République, en vigueur au moment de la suspension, reprendront toutes, vie. Précisément, il conviendra de rétablir l'Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel dans leurs rôles constitutionnels respectifs.

Le premier acte du Conseil constitutionnel sera de constater la vacance de pouvoir. Ceci voudra dire que, soit le pouvoir militaire n'a jamais eu lieu, soit le pouvoir militaire doit s'estomper afin que puisse être constatée la vacance de pouvoir et que puisse être enclenché le processus d'organisation de la transition.


Cette étape est indubitablement une étape cruciale mais combien douloureuse. Les militaires renonceront – ils aisément au statut d'anciens chefs d'Etats, dans l'hypothèse où l'on considère que ce pouvoir n'a jamais eu lieu ? Accepteront – ils de démissionner avant la fin du processus de définition des modalités de la transition, si l'on admet qu'ils ont effectivement exercé la fonction de chefs d'Etat ? Même si la deuxième solution nous paraît plus facile à ingurgiter, elle peut ne pas rencontrer l'assentiment des forces armées qui verront par-là un moyen de les déposséder de la maîtrise du processus qu'elles conduisent jusque-là. Poser cet acte signifierait que le Conseil constitutionnel prend la commande des opérations.


La suite des opérations dépendra précisément de la volonté du Conseil constitutionnel, mais aussi de celle de l'ensemble des forces vives. En situation régulière, le Conseil constitutionnel s'attèlerait à constater l'impossibilité de l'Assemblée nationale à délibérer dans son siège, emporté par le vent de l'insurrection du 30 octobre 2014, ce qui permettrait à l'Assemblée nationale de se réunir en session extraordinaire pour se réorganiser, notamment pour élire un nouveau Président, si celui en exercice au moment de l'insurrection ne se présentait pas à l'appel, puisque la Constitution prévoit précisément qu'en cas de vacance de la Présidence de l'Assemblée nationale, celle-ci élit un nouveau Président . On disposerait ainsi d'un candidat à assurer la présidence de la transition.


Il est peu probable que les esprits soient prêts à accepter une telle solution qui est la plus légale possible. Il sera difficile de convaincre la population d'accepter qu'un de ceux-là qui ont été à l'origine de l'insurrection puisse assumer la fonction présidentielle, intérimaire soit-elle . Qu'à cela ne tienne ! Le Conseil constitutionnel est libre d'interpréter les dispositions constitutionnelles et de préconiser d'autres schémas de sortie de crise, d'autres schémas qui recueilleraient l'assentiment de l'ensemble des forces vives de la nation et, surtout, de la population qui n'entend guère se faire voler sa victoire.


Que peut faire d'autre alors, le Conseil constitutionnel ? Comme beaucoup l'ont déjà suggéré, le Conseil constitutionnel peut constater le défaut d'un Président de l'Assemblée nationale et l'impossibilité pour cette Assemblée nationale de se retrouver et de délibérer valablement, du fait de l'indisponibilité précisément de son siège. Il pourra, dès lors, prospecter pour d'autres scénarii.


En réalité, il ne lui reste plus que l'option de faire appel aux forces vives pour désigner un candidat consensuel. Cette hypothèse n'est nullement prévue par notre constitution. Mais, rappelons-le, le Conseil constitutionnel est seul maître de l'interprétation des règles constitutionnelles, et les circonstances à elles seules lui fournissent suffisamment d'argument pour se fonder sur l'équité et/ou l'effet utile afin d'imaginer une solution qui puisse mettre le Burkina Faso sur le chemin d'une transition démocratique. Une telle transition tirera son caractère constitutionnel de la seule jurisprudence du Conseil constitutionnel.


L'intervention des forces vives de la nation devrait avoir lieu, le cas échéant, au moment de devoir désigner une personnalité consensuelle, à défaut de se fier à la solution parlementaire. Dans tous les cas, le leadership dans la conception de l'organe de transition devrait revenir, dans le contexte d'un Etat de droit, au Conseil constitutionnel.


Dans le contexte actuel, il semble qu'on se soit très éloigné de la solution légale, le leader institutionnel attitré pour conduire le processus de définition d'un appareil de transition ayant été tenu à l'écart dès le départ. Pour reprendre cette expression populaire, dans le cheminement vers l'imagination d'une transition démocratique au lendemain de la révolution d'octobre, au Burkina Faso, il semble qu'on ait mis la charrue avant les bœufs. Pourra-t-on inverser la tendance ? Pourra-t-on rattraper ce raté ? D'ailleurs, y a – t – il une volonté réelle d'emprunter le chemin le plus légalement correct ? Il y va pourtant de la justesse du combat du peuple, si l'on assume que celui-ci s'est soulevé pour protéger sa Loi fondamentale, son « tenkugri ».

Mieux, la voie légale est d'un pragmatisme tel qu'elle devrait être préférée à tout autre cheminement qui ne ferait que retarder le retour à une vie constitutionnelle normale.


III. Les avantages d'une solution constitutionnelle


L'option pour la voie constitutionnelle comporte un certain nombre d'avantages : des avantages de principe, d'une part, et des avantages pratiques, de l'autre.


A. Les avantages principiels


Il est important, dans un élan, de ne pas perdre ses repères, notamment, le point de départ et le point d'arrivée. A défaut, l'on entre dans une errance qui, par nature, est d'une inefficacité absolue. Dans la situation burkinabè, le succès se mesurera par rapport aux objectifs atteints. Au risque de contredire l'ancien maire de la ville de Ouagadougou, membre de l'opposition politique, « empêcher la modification de l'article 37 de la Constitution et obtenir le départ de Blaise Compaoré » ne sont peut-être pas les objectifs fondamentaux de la lutte. N'était-ce pas, plutôt l'envie de faire respecter l'intégrité de la Constitution, dont l'article 37 fait partie et de faire avancer le pays sur la voie de la démocratie et de l'Etat de droit ?


De moin point de vue, ces éléments ne doivent pas être perdus de vue, si l'on veut évaluer les avancées. Précisément, la voie la plus constitutionnellement compatible permet, seule, la résilience de la démocratie et de l'Etat de droit, tout en préservant la Constitution de tripatouillage et d'application sélective.


o La résilience de la démocratie et de l'Etat de droit


S'il est un consensus dans ce capharnaüm généralisé, c'est bien l'aspiration des Burkinabès à une société démocratique. La transition devrait être pensée de telle manière à tendre vers la satisfaction de cette aspiration. L'option constitutionnelle a le mérite de préserver les institutions qui fondent la démocratie burkinabè, tout en s'inscrivant dans le respect du droit, c'est-à-dire, dans le cadre d'un Etat de droit, une caractéristique nécessaire de l'Etat moderne.


Si l'on évite soigneusement d'appliquer la Constitution, on aura donné raison au pouvoir ancien. Le Tenkugri ne doit faire l'objet d'aucune manipulation. Dura lex, sed lex… aime – t – on dire. Certaines dispositions peuvent paraître contraires aux intérêts des hommes forts du moment, mais les écarter est tout aussi criminel , ce d'autant plus qu'aucun pouvoir issu du processus en cours ne peut prétendre aujourd'hui être d'une représentativité parfaite de la société burkinabè . La Constitution, ne cessera-t-on de le rappeler, est un corps unique, qui ne peut pas faire l'objet d'une application sélective. Elle demeure le contrat social qui fonde l'Etat burkinabè.

Il n'y a cependant pas que les questions de principe qui militeraient pour un respect de la Constitution.


B. Les avantages pratiques


La voie constitutionnelle est un moyen de consolider les institutions de la république. Dans la vie d'un pays, conduire une transition n'est pas monnaie courante. Quand le cas se présente, les institutions s'éprouvent et s'améliorent à l'expérience. Ceci est d'autant plus vrai que les hommes à la tête de ces institutions ne sont plus les « hommes forts » du moment. Leurs actes seront suivis avec le plus de rigueur par ceux qui actuellement bénéficient de l'aura populaire, ce qui aura l'avantage de responsabiliser à la fois ces institutions et les hommes à leur tête. Les actes posés dans ce contexte auront la chance de traduire une certaine justice, un certain équilibre entre la forme – que garantiront les institutions et leurs hommes – et le fond, aujourd'hui la pression sociale et les préférences de l'opposition politique et civile d'hier, débarrassées des chaines du régime Compaoré. Ce faisant, ces actes serviront de jurisprudence pour le futur, même s'il est à espérer que de futures transitions ne soient plus aussi tumultueuses. Cependant, cette jurisprudence-là pourra aussi servir tout le continent africain, au cas où le printemps noir viendrait à se propager, ce que nous ne souhaitons non plus à aucun autre peuple ou dirigeant africain.


Utiliser les institutions et les ressources en place constitue une économie à la fois de temps et de ressources dans la conduite de la transition. Que ferons-nous si l'Assemblée nationale venait à ne pas exister pendant cette période ? Faudra-t-il envisager un autre organe délibérant, comme semble le proposer l'avant-projet de la charte de la transition ? De quelle légitimité peut se prévaloir un tel organe ? Quelle représentativité ? Le bricolage institutionnel vers lequel on s'oriente n'est pas pour consolider notre démocratie. Il ne servira qu'à nous divertir et à pomper nos ressources déjà si maigres.


Ce sont autant d'éléments qui nous amènent à plaider en faveur de l'option pour une solution la plus proche possible de ce qui est prévu par notre Loi fondamentale, ce qui signifierait, en bref, rétablir l'Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel dans leur rôle respectif, pour accompagner l'exécutif de compromis que viendraient à retenir les forces vives pour conduire la transition. Le peuple burkinabè resterait alors seulement cohérent envers lui-même, en inscrivant son action dans la légalité, dans une perspective de lutte pour protéger sa Constitution.


Par Dr Robert YOUGBARE

Juriste, enseignant-chercheur à l'Université de Koudougou

ryougbare@gmail.com





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