Opposition politique au Burkina Faso : Le défi de la cohésion et l'unité d'action
Chaque chose en son temps. A chaque jour suffit sa peine. La vie des nations est rythmée par le triptyque ‘problème-solution-problème'. La résolution d'une préoccupation ouvre la porte d'accès à la préoccupation suivante. Certains parleront de dialectique (processus de développement de la pensée et de l'être par dépassement des contradictions – une des définitions selon Le Petit Larousse) et d'autres, de succession continue des contradictions et leur résolutions.
C'est la capacité des Hommes à agencer ces préoccupations par ordre de priorité et à utiliser leur intelligence et leur génie pour leur trouver des solutions idoines qui fonde l'espoir et donne un sens à la vie. Il n'y a pas de vie là où l'espoir et l'optimisme cessent d'être les moteurs de toute action humaine.
Depuis que les forces vives, les forces du progrès et du changement ont eu la conviction que M. Blaise Compaoré a décidé de mourir au pouvoir, leur défi commun et collectif a été d'utiliser tous les moyens de droit pour l'amener à réviser sa position, et à défaut tous les moyens pour le faire partir. Les coups de pieds, de boutoirs, de pioches, de haches venant de toutes parts ont fini par avoir raison de l'enfant terrible de Ziniaré. Blaise Compaoré est parti. Ce difficile pari a été réalisé. La voie est désormais libre pour tous les partis politiques, de quelque obédience ou conviction idéologique que ce soit, de se préparer pour la conquête de Kosyam, sans oublier les législatives et municipales à venir.
Le plus difficile aujourd'hui, c'est comment les différentes composantes des forces vives dont les efforts conjugués ont réalisé cet exploit inédit et dans une certaine mesure pas attendu de sitôt, vont s'organiser pour la gestion de l'après Compaoré. Mais bien avant cela, il fallait d'abord s'occuper de la question sécuritaire et des risques de chaos total généralisé consécutif au départ précipité, qu'en vérité très peu attendaient de sitôt, du président Compaoré. Ce qui explique les tâtonnements et balbutiements tant du coté des politiques, des OSC que des militaires. Le plus urgent donc, assurer la sécurité des personnes et des biens, éviter l'aggravation de la crise pouvant conduire à l'enlisement. C'est ce qui justifie le cri de cœur, l'appel des forces vives à l'armée pour qu'elle prenne ses responsabilités. Cependant, on constate qu'il y a un glissement à présenter les choses comme si l'armée s'était autosaisie de la chose ; ce n'est pas exact. Nous avons tous vu le monde fou qui clamait le nom du Général Lougué à la place de la Nation. Nous n'y avons pas entendu ce monde scander le nom d'un civil. Lougué n'est pas un civil, mais un militaire à la retraite. Par la suite, c'est ce même monde à la place de la Nation qui, à défaut de Lougué, a accueilli avec clameur la proclamation du Lieutenant-colonel Zida. Que le calme et la sérénité semblent revenir et que l'on demande à l'armée de passer la direction de la transition aux civils, soit. Mais de grâce, ne présentons pas les choses comme si l'armée a, de façon opportuniste, fait irruption pour se saisir du pouvoir suite au succès de la révolte populaire. Le communiqué No 5 du 2 novembre 2014 lu par le Colonel Auguste Denise Bambara rétablit les faits dans leur contexte : « Nous voulons rappeler que si les forces vives pensent s'être trompées, il est encore temps de revenir nous voir, pas par la rue, mais plutôt par la voie empruntée antérieurement notamment la concertation ; l'armée se retirerait alors et laisserait ceux qui pensent à cette étape, être à même de faire sortir notre pays de la situation difficile actuelle.
Les enjeux actuels dépassent les simples questions d'ego et d'intérêt individuels des uns et des autres ».
Nous comprenons bien parce que chat échaudé craint l'eau froide. Les expériences passées de l'armée qui promet de retourner dans les casernes après la transition et qui ne tient pas parole, sont légion. Dans la situation chaotique ou chaque seconde conduisait le pays vers une totale déflagration, qui d'autre que l'armée pouvait prendre ses responsabilités ? Ne serait-ce que comme mesure conservatoire et de façon temporaire.
Dans la zone de haute turbulence que nous traversons, une vigilance extrême doit être de mise, pour déjouer les pièges et autres mauvais coups de ‘sous-marins' et autres pêcheurs en eau trouble. J'ai un fort sentiment que les épisodes Sara Sérémé et Kouamé Lougué à la télévision nationale font partie de ces pièges dont l'objectif visé n'est autre que de semer la zizanie, la suspicion et la discorde au sein des politiques et des forces armés. Autrement, d'où vient que pendant que des concertations sont en cours entre les acteurs politiques, et qu'elles sont en vue avec les autres acteurs et l'armée, un groupe de manifestants exige la démission immédiate du colonel Zida et encourage Sara Sérémé à s'autoproclame présidente de la transition ? Cette stratégie de semer et d'entretenir la confusion est la même qui est utilisée pour diviser les OSC à travers les reproches et autres accusations à l'encontre de certaines OSC. Autant des bandes de pilleurs organisés écumaient Ouagadougou et les autres villes du pays pendant que les forces vives conscientes étaient préoccupées par la question de la gestion de l'après Blaise Compaoré, autant il y a des groupes organisés pour profiter de la situation volatile pour créer davantage de confusion pour des motifs qu'eux seuls connaissent.
Il revient à nos hommes et femmes politiques, nos responsables d'organisations de la société civile, nos personnes ressource, de prendre encore plus de la hauteur, de persévérer dans la grandeur d'âme dont ils ont fait preuve tout le temps qu'a duré le combat jusqu'à la victoire collective du 30 octobre. Cultivons l'humilité, la modestie pour reconnaitre nos écarts, faire amende honorable, nous pardonner et nous concentrer sur le plus important. C'est ce que nous avons souhaité que l'ex-président Compaoré fasse, ce qu'il a refusé. Ce sont les conséquences de ce refus que nous vivons aujourd'hui. Quelle image devrait-on avoir de ceux et celles qui ambitionnent de diriger ce pays si déjà a cette étape ils ne peuvent pas dominer leur orgueil pour l'intérêt supérieur de la nation ? On ne pardonne pas à autrui parce qu'on l'aime, ou pour ses beaux yeux, mais pour être pardonné à son tour, nul n'étant parfait ni infaillible. Au risque d'être surpris comme le président Compaoré l'a été, l'Opposition a intérêt à maintenir son unité, du moins pour l'instant, car comme on le dit chez nous, « le beurre de karité s'est endormi mais il n'est pas mort » ; pour dire que l'adversaire est seulement en hibernation sinon il n'est pas anéanti.
Avant même les autoproclamassions réelles ou supposées, nous avons écouté sur des antennes de radio et de télévision un responsable de parti politique esquisser seul un schéma de la transition, proposer seul l'organe à mettre en place pour jouer le rôle de l'Assemblée nationale, et se proclamer par avance président de cet organe. Si ce sont des propos de parenté à plaisanterie, ils sont de mauvais goût et pas indiqué pour ce moment.
Nous ne doutons pas un seul instant que l'union sacrée conte la modification de la constitution ne tiendra pas jusqu'aux élections à venir. Mais le minimum de concorde et d'harmonie devrait être maintenu pour la mise en place des organes de transition. Apres quoi, les partis politiques, en regroupement ou individuellement, pourraient prendre du recul et estimer la distance nécessaire pour entamer leur course, effectuer le triple saut et espérer atterrir dans le seul fauteuil tant convoité de Kosyam.
Cynthia Benao
benao_cynthia@yahoo.com
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