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lundi 9 février 2015

Gouvernement de Transition : Un pays dangereusement en transe



Si l'on pose aux Burkinabè, la question, « Qu'est ce qu'un régime de transition ? », ils seront nombreux à répondre qu'il s'agit « d'une période au cours de laquelle un pays rentre en transe ». Cette réponse leur est certainement inspirée par les soubresauts actuels constatés dans la gestion du pouvoir. Tant il est vrai qu'à l'image des féticheurs du pays Akan, le Premier ministre, Yacouba Isaac Zida ne cesse d'être guidé par des forces surnaturelles lui révélant, çà et là, la présence de démons prêts à saper ses initiatives et ses bonnes intentions.




A force de chercher le diable, l'on finit par le trouver en face. Le Chef du gouvernement feint d'ignorer son erreur de confondre vitesse et précipitation dans sa lourde tâche d'administrer un pays qui a longtemps croupi sous le joug du dirigisme. Les balbutiements des temps-ci sont si criards qu'ils remettent sans cesse en cause l'exploit du peuple burkinabè de venir à bout, en quarante-huit heures, d'un régime qui a duré vingt-sept (27) ans et de mettre en place, sans tergiversations majeures, les institutions de la Transition.


Même si d'autres griefs d'une gravité extrême reprochés au chef du gouvernement par ses frères d'armes restent à être élucidés avec des preuves, celui de la discorde entre Yacouba Isaac Zida et son ancien corps résulte principalement de son incapacité à désigner un chef de corps pour conduire la troupe après que le Colonel major Boureima Kéré a refusé d'assumer ces fonctions sous le prétexte qu'il ne peut se soumettre à un officier de rang inférieur en la personne du Commandant Théophile Nikiéma, devenu Lieutenant-Colonel depuis le 1er janvier 2015, Chef d'Etat major particulier de la Présidence du Faso de qui dépend le Régiment de sécurité présidentielle (RSP). Depuis lors, ce corps d'élite s'est gravement trouvé sans commandement. Seuls quelques officiers volontaires remontaient le moral de la troupe au carré d'armes.


L'erreur du Lieutenant-Colonel Zida est d'avoir si tôt foulé au pied l'orthodoxie militaire en se lançant en solo dans des nominations et des affectations sans aucune consultation. Les injonctions de la troupe du RSP, pour qu'il nomme un chef de corps et ses échappatoires situant une responsabilité du Président Michel Kafando dans cette nomination, se sont achoppées quand de son retour d'Ethiopie, celui-ci s'est étonné en arguant qu'aucun document n'a été soumis à sa signature à cet effet. Du coup, le Premier ministre connaissant la force de frappe de ses anciens camarades, a pris peur et a choisi la poudre d'escampette au moment où la garde rouge de la gendarmerie a planté le décor de l'accueil du Chef de l'Etat et des ministres qui arrivaient déjà pour le Conseil des ministres. Leur attente sera longue et vaine.


Le Chef du gouvernement ne viendra pas. Il est aujourd'hui établi que le Conseil des ministres n'a jamais été ni perturbé ni interrompu. Etant donné que le Premier ministre ne s'est pas rendu au palais de Kosyam, le mercredi 4 février dernier, il n'a jamais été séquestré. Les éléments du RSP, qui s'affairaient ce jour-là à la répétition du défilé pour la passation de commandement du chef d'Etat major de l'armée de terre ont été surpris d'entendre sur les ondes des médias que leur ancien chef de corps adjoint a subi des menaces de leur part au point de se réfugier chez le Moro Naba. L'intéressé a été aussi incapable de situer le nœud du problème à sa Majesté. Du coup, Ouagadougou s'en est allé à ses affabulations plongeant la ville et le pays dans la psychose.


Appelés à la rescousse par le Président du Faso, la troupe et le roi des Mossé, l'ex-chef d'Etat, Jean Baptiste Ouédraogo et le Général Gilbert Diendéré ont été à la manœuvre, avec les principaux chefs militaires, pour dissiper les divergences. Quoique cela tienne à une exigence d'une troupe, il faut tout de même se réjouir que le RSP dispose depuis vendredi 6 février d'un responsable en la personne du Lieutenant-Colonel Moussa Céleste Coulibaly (ancien aide de camp de Président Compaoré et camarade de promotion à plusieurs niveaux de l'actuel Premier ministre), mettant ainsi fin au risque de voir cette unité, sans commandement, se comporter en « bande armée ». Ce qui aurait été pire pour tout le monde.


Bien qu'il soit titulaire d'un Master II en Management international, Yacouba Isaac Zida paie cash ses erreurs de management civil et militaire. Personne ne tire les ficelles pour lui causer des ennuis. Pas même le Gal Gilbert Diendéré comme le prétend une certaine opinion publique. Celui-ci est reclus dans son coin et ne se montre qu'en cas de besoin exprimé par les nouvelles autorités ou les exigences de la continuité de ses anciens postes.


Le Premier ministre doit seulement savoir qu'il y a des décisions qui ne sauraient être prises à la hâte sous le seul prétexte que l'on est Chef du gouvernement cumulativement avec les fonctions de ministre de la Défense. Cette leçon doit l'inviter à se comporter en un homme averti en réalisant qu'on ne se défait pas de façon brutale de son cordon ombilical. Il a rompu très tôt et sans discernement avec la source de son onction à la tête du pays grâce à sa puissance de feu. Ce seul souvenir vaut toute une sagesse de sa part. Un dialogue franc avec la troupe aurait pu vider le dossier du RSP dans la dynamique « autres temps, autres mœurs » et préserver le peuple burkinabè du spectacle ridicule, désolant et indigne du mercredi 4 février dernier.


En tant que officier, ayant effectué toute sa carrière au RSP, il doit être le premier à savoir que les questions militaires, y compris celles de police, ne se résolvent ni par un coup de sang ni sur la place publique. Elles sont si sérieuses que les réponses appropriées doivent reposer sur de larges concertations, de tractations voire un consensus ou un compromis. Ce n'est pas une faiblesse que d'être à l'écoute de toute l'armée en général et du RSP en particulier étant donné que le Premier ministre est en même temps le ministre de la Défense. D'autant que cette période reste très fragile. Même « l'homme fort », Blaise Compaoré, s'en est rendu à l'évidence après les graves mutineries de 2011. Ses chefs militaires étant décriés dans les casernes, il a dû se mettre à l'écoute de la troupe pour procéder à d'autres choix, y compris celui de Yacouba Isaac Zida comme chef de corps adjoint du RSP. Peut-être que c'est l'exigence de 2011 qui a donné un brin d'esprit républicain aux Forces de défense et de sécurité (FDS), au point qu'elles prennent conscience de n'être pas au service d'un homme mais d'une nation, et refuser de tirer sur la foule comme sur des lapins lors de l'insurrection des 30 et 31 octobre 2014.


L'armée burkinabè commence à gagner en maturité. Il faut la mettre à l'épreuve. La Grande muette, qui n'hésite pas à grogner de temps à autre, est aussi est consciente, avec l'existence de la Cour pénale internationale (CPI) surtout, que « Rien ne sera plus comme avant ! Comme le 15 octobre 1987, le 13 décembre 1998, etc. ». L'avenir du RSP doit s'inscrire dans une vaste réforme des Forces armées nationales (FAN) pour réorienter leurs missions afin qu'elles soient plus constructives dans un pays en quête de développement que d'être un goulot pour son budget national. Ce n'est pas en menaçant les éléments du RSP par des tracts interposés que l'on viendra à bout de l'équation posée au sein de l'armée. Les OSC et les partis politiques doivent œuvrer à la sérénité au sein de la Grande muette plutôt que d'entretenir une confrontation entre elle et la population.


Comme certains membres du Conseil national de transition (CNT) qui ont maille à partir avec leur base, en particulier des OSC et les partis politiques, le Premier ministre n'est pas le seul membre du gouvernement à être pris en otage par les structures qui les ont couronnés. Des ministres pourraient bientôt subir le même sort que Adama Sagnon et Moumouni Diguemdé pour n'avoir simplement pas respecté certaines clauses non écrites surtout pour ce qui relèvent des nominations.


L'indépendance des principaux acteurs de la Transition n'est pas encore acquise. A la vérité, au pied de la conduite des affaires de l'Etat, certaines figures de proue se rendent maintenant compte des limites de leur étoffe de démagogues et de populistes. Elles ont commis la grave erreur de n'avoir pas eu la lucidité de circonscrire leurs missions dans une réalité temporelle. En se livrant à des déclarations à l'emporte-pièce et à des nominations hasardeuses, le Chef du gouvernement a attisé des doléances et canalisé des attentes auxquelles il n'a ni les moyens ni les capacités d'apporter des réponses diligentes et immédiates. Fini, le commandement dans les casernes, les envolées lyriques des amphithéâtres, les langages alambiqués des tribunaux, les louanges et les adorations des temples. La période de Transition commande des actes concrets afin de baliser le terrain pour un régime démocratiquement élu. Elle s'écarte peu à peu de cette préoccupation majeure.


Il appartient à la Transition de s'atteler à maintenir le cap du progrès socio-économique du pays tout en restant vigilante sur le point de mire de ses actions à savoir l'organisation de scrutins (présidentielle, législatives, municipales) crédibles et transparents pour mettre irréversiblement le Burkina Faso sur la voie d'un Etat de droit, conscient de son rôle et de sa place dans le concert des nations. Les errements apparus çà et là au sein de l'équipe gouvernementale où chacun prêche pour sa chapelle donnent des sueurs froides à plus d'un. Le doute et le scepticisme planent sur la Transition.


« Vous voulez des emplois ? Eh bien, vous les aurez. », « La SOCOGIB a été cédée à un franc symbolique, il faut qu'elle revienne au peuple. », « Le RSP sera démantelé et ses éléments affectés à d'autres missions. ». Ce sont autant de propos aventuriers dignes d'un régime d'exception qui enchaînent actuellement le Premier ministre dans son élan à accomplir ses missions réelles. Celui-ci doit maintenant se départir du langage avec lequel il a amadoué le public à la Place de la Révolution aux premières heures de l'insurrection. Le pouvoir est entre ses mains maintenant, il faut assumer courageusement cette réalité en épousant une posture de vérité en amenant les uns et les autres, supporteurs et adversaires, à admettre que la Transition ne peut pas venir au bout de tous les maux causés par l'ancien régime et combler du coup toutes les attentes de l'ensemble des Burkinabè dans cette courte période à lui impartie.


Le gouvernement de Transition doit être guidé par une boussole démocratique axé sur une feuille de route. Les chantiers revêtent parfois des amalgames sur les missions dévolues aux autorités actuelles. Le Premier ministre Zida et certains de ses ministres commettent l'erreur de donner l'impression à des Burkinabè naïfs qu'ils ont la solution à tout. Alors que des plaies béantes de plus de trois décennies ne peuvent être pansées en moins d'une année. Il faut alors se hâter patiemment.


Bien que le régime de Blaise Compaoré soit accablé de tous les malheurs d'Egypte, force est de reconnaître qu'il existe encore des cadres de haut niveau et aux compétences avérées dans l'administration publique qui ont toujours œuvré de façon irréprochable à l'avancée du pays, sans coloration partisane et sans boulimie. Vouloir changer pour changer renforcera l'air de perpétuels changements, parfois inutiles, qui brisent souvent le rythme des affaires publiques. Si certaines nominations sont judicieuses, d'autres sont fallacieuses voire inappropriées. Des ressources humaines performantes susceptibles d'accompagner la Transition sous de bons auspices sont à portée de main. Il ne sert à rien de se laisser guider par le copinage, le favoritisme ou le népotisme ou aller fouiller les églises, les syndicats ou les organisations de la société civile (OSC) pour nommer d'illustres inconnus professionnellement, dont personne ne connait les compétences réelles, qui viendront grossir demain la liste des centaines de bras cassés de l'administration publique.


D'ailleurs, rares sont les Burkinabè qui peuvent se targuer de n'avoir jamais pactisé avec le régime de Blaise Compaoré. Il suffit de nouer un nouveau contrat de confiance avec elles pour atteindre les objectifs attendus. La véritable bataille qui vaut la peine d'être menée à l'heure actuelle, c'est la reconstruction de la vraie personnalité du Burkinabè autour des valeurs d'intégrité car il ne s'agit pas de combattre des hommes et des femmes mais de chercher à détruire les mauvaises habitudes d'un système. Le mal se trouve dans la tête. Quand il s'agit de dealer, les Burkinabè ne connaissent ni partis politiques, ni religions, ni régions. La nouvelle génération ne poursuit que ses intérêts, notamment le fric, quel que soit son odeur. La transition ne doit pas sonner l'heure des récompenses ou des essais de laboratoires. Elle doit exprimer les capacités des Burkinabè à transcender leurs divergences pour s'entendre sur le minimum et construire ensemble l'avenir. La recomposition de l'administration publique en si peu de temps suscite des craintes. Celle-ci n'a jamais été aussi profonde et multicolore en un temps record.


La déontologie pourrait être piétinée si chaque parti politique ou OSC, détenteur de ministères ou d'entreprises publiques, place des responsables l'administration, comme des dés que l'on pousse, dans la perspective des scrutins à venir. Aucun acteur politique ne perd de vue qu'il faut rassembler beaucoup des moyens pour conquérir l'électorat pendant les échéances.


Filiga Anselme RAMDE

filiga_ramde@yahoo.fr

Pour lefaso.net





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