Situation nationale : David Sawadogo répond à Mamadou Djibo
Bonjour Djibo,
Je ne sais pas si tu te souviens de moi mais nous avons fait nos années DEUG philo, à l'UO, ensemble. Ça fait déjà 30 ans... Mais ce n'est pas pour évoquer nos souvenirs estudiantins que j'écris ici. C'est la troisième fois que j'interviens sur ce forum, sur lequel je lis beaucoup sur la situation burkinabè. La première fois, je répondais à un autre rhétoricien qui érigeait Blaise Compaoré en génie contemporain de la politique et ma deuxième intervention répondait aux insultes proférées contre ma personne par mon contradicteur.
Merci, en passant, au site lefaso.net de servir de média grand public et de lieu d'échange de nos opinions si diverses et parfois tranchées. Je t'y ai d'ailleurs beaucoup lu, sans jamais réagir à tes propos. Jusque-là !
Cette fois-ci, j'ai été piqué au vif par ton discours un peu abscons, sur des événements pourtant clairs comme de l'eau de roche. Ta prose a toujours été aussi hermétique, brillante toutefois. Elle aurait été parfaite dans une revue de philosophie ou de métaphysique, mais pas sur un forum citoyen. Toi et d'autres oubliez qu'un tel forum citoyen n'est pas exactement une arène pour les joutes philosophiques. Un « philosophe » est ici un citoyen, avec un bagage philosophique, qui parle à d'autres citoyens qui ont peu ou prou d'autres bagages. Même si la philosophie, à mons sens, n'est pas et ne devrait pas être un langage hermétique. Le philosophe, comme tout locuteur, doit parler et écrire pour être compris.
Cet hermétisme dont vous faites montre, sur ce forum, est une tare d'une certaine philosophie occidentale, héritée de Hegel et de sa postérité universitaire. Cet Occident, qui semble avoir fini avec ses problèmes existentiels, si bien que la philosophie y est devenue une pure rhétorique, une esthétique et un objet de snobisme. Elle est devenue un lieu où se tissent des jeux de mots et des constructions de styles rhétoriciennes, que Schopenhauer dénonçait déjà au 19e siècle, dans Le Monde comme volonté et comme représentation. Pour nous autres négro-africains, burkinabè, et, au-delà, les êtres humains meurtris et dominés, philosopher, penser, doit être un moyen d'élucider notre rapport au monde, une justification, tout au moins une explication de notre existence et une explicitation du sens qu'elle peut revêtir.
La philosophie doit aussi guider l'action et le vivre-ensemble des hommes, sans quoi elle ne peut qu'être inutile. Car, si l'homme ne vivait pas en société, il n'aurait pas eu besoin ni de parler ni de penser. Arrêtons donc de singer l'académisme intellectualiste qui sévit dans les milieux universitaires occidentaux. Je suis plutôt en phase avec Kierkegaard pour dire que la philosophie ne serait pas louable si elle n'avait pas la prétention de nous aider à mieux vivre. Par ailleurs, la philosophie peut être claire, limpide, accessible et néanmoins pertinente. C'est ma conviction profonde.
Comme l'ont dit plusieurs « forumeurs » avant moi, ton dernier texte pour être pertinent aurait pu/dû être très court. Le début de ton texte me semble frappé du bon sens : « Je m'incline avec déférence devant la mémoire de nos compatriotes morts. Que la terre libre du Burkina Faso, le pays de leurs ancêtres, leur soit légère.... J'offre ma compassion aux blessés et leur souhaite une prompte santé. J'ai argumenté pour le référendum révocatoire ou plébiscitaire, le peuple souverain a administré la révocation directe. Burkina Faso, je suis ton fils, je m'incline et demande ton pardon ».
A ce début de texte, j'ai soustrait la phrase ci-dessous qui semble t'incliner déjà à une certaine mauvaise foi dont la suite de ton texte sera empreinte de bout en bout :
« C'est d'autant pénible que ce le fut dans la fleur de l'âge parce que nous les adultes qui aimons tous notre pays, avons failli quant à surmonter nos différences politiques ».
De quoi parles-tu donc ? Voici un homme, dont vous louiez le génie politique, qui, en 2005 et 2010, avait violé la constitution déjà pour se maintenir au pouvoir, qui la tripatouille à nouveau en 2014, et tu insinues que ce sont ses opposants les responsables du désastre découlant de son entêtement mégalomaniaque. Décidément, tu sembles, à force de résider dans le monde des idées pures, oublier la réalité cruelle de notre pays. Si BC a autant duré au pouvoir ce n'est pas grâce au génie politique que vous lui attribuez mais à cause de la crainte qu'il inspirait à son peuple et à ses opposants, par sa violence et sa cruauté.
Tu as osé saluer la sagesse et l'esprit de sacrifice de BC qui, dis-tu, a préféré démissionner que de provoquer un bain de sang. Avait-il vraiment le choix ? C'est pour préserver sa petite vie qu'il a donné sa démission. Ce n'est pas la marque des grands hommes, lorsqu'ils pensent que leur cause est juste, que de fuir pour sauver leur peau. Là, en l'occurrence, il n'y avait pas de cause à défendre mais les caprices d'un homme qui s'est pris pour Dieu, à ses dépens.
« Ce courage lucide du démissionnaire, écris-tu, est symétrique au courage survolté du peuple. L'intégrité burkinabè, comme patience mais aussi comme détermination, est alors l'apothéose et l'accomplissement du courage et de la volonté de part en part. Que le Président Blaise Compaoré se soit trompé sur la soif d'alternance ou que son entourage l'ait trahi, en baptisant le Burkina Faso en 1984, pays des hommes intègres, c'est se préparer à assumer et s'assumer lorsque cet idéal destinal vous fait signe. Il faut le suivre. L'ancien président l'a suivi en évitant de verser le sang de son peuple disjonctif ... ».
Mais les morts, dont tu salues la mémoire, ne sont-ils pas la preuve que le bain de sang a bien eu lieu ? Celui qui tue un homme, dit-on, tue l'humanité. A ton avis, qui a ordonné de tirer sur les manifestants du 30-31 octobre ? Qu'on se le dise, l'esprit de sacrifice, BC ne le connaît pas. Le seul sacrifice qu'il connaît c'est le sacrifice des autres. Il a toujours sacrifié les autres plutôt que lui-même. Il a sacrifié sur l'autel de son pouvoir tyrannique : Sankara et ses compagnons, les suppliciés du BIA de Koudougou, Jean-Baptiste Lingani et Henri Zongo, Boukary Dabo, Norbert Zongo et ses compagnons d'infortune, Oumarou Clément... Le bain de sang a plusieurs fois eu lieu sous BC et la justice doit passer.
Ta manière de diviser les burkinabè en bons et mauvais dans ces événements m'est insupportable. L'opposition a joué un rôle remarquable dans cette insurrection tout comme la société civile (Balai citoyen compris). Tu félicites l'armée pour sa retenue et fustiges l'opposition ; mais en quoi l'armée, dont une bonne partie a été utilisée pendant 30 ans pour réprimer notre peuple, est plus méritante que l'opposition politique ? Je dirais pour ma part que l'opposition politique – dont le plus grand diviseur commun a été justement BC – a su se réunir ici sur l'essentiel.
Djibo, il y a des faits historiques qui, en soi, disqualifient la pensée, comme on l'a dit naguère de la Shoah ; des événements qui devancent la pensée. Tu l'as clairement dit : les événements du 30-31 octobre seraient la réalisation d'une certaine métaphysique à l'œuvre dans l'histoire de notre peuple depuis août 83. Exactement, comme la Révolution française fut la réalisation de métaphysiques à l'œuvre dans la pensée des Lumières. Devant de tels accomplissements historiques l'attitude idoine c'est le silence, provisoirement au moins. Ce n'est pas ce que tu as fait. Tu as continué à pérorer comme si les préceptes de l'ancien régime n'avaient pas été disqualifiés par le peuple souverain.
Cher Djibo, il me semble que ta défense de BC est aussi ta propre défense. En effet, tous ceux qui ont théorisé pour conforter BC dans sa fuite en avant, sont comptables du désastre consécutif à son entêtement suicidaire. Il vous faut méditer cette formule qui inaugure L'homme révolté de Camus : « Il y a des crimes de passion et il y a des crimes de logique ». Les philosophes de cour et les intellectuels de palais tuent autant que leurs tyrans de mentors. C'est pourquoi, tu aurais dû te limiter à implorer le pardon de ton peuple et attendre qu'il statue avant de recommencer tes ratiocinations comme si de rien n'était. C'est le même conseil que je donnerais aux pontes de l'ex-majorité. Car eux, comme toi, n'ont peut-être pas tué de leurs mains mais ils ont construit jusqu'au bout la logique meurtrière du régime de BC depuis le 15 octobre 1987.
Pour finir, je reprends la conclusion de mon premier article-réponse à F. Nyamsi où je disais que si BC, était un puits de sagesse comme d'aucuns le pensaient, il aurait été mieux avisé de préparer le pays à continuer son histoire sans lui, à travers un dauphin, par exemple, au lieu de chercher à tripatouiller la constitution. A moins, disais-je, que son objectif fusse de finir comme d'autres chef d'Etat à vie du continent : à savoir, soit de passer de héros au statut de tyran prédateur (Mugabé, Khadafi), soit d'être obligé un jour de mourir en exil (Amin Dada, Bokassa, Mobutu..), soit pire encore réaliser la funeste prophétie pour son peuple : « Après moi le déluge » (Mobutu, Eyadema, Houphouët Boigny). Finalement, BC a réalisé toutes ces tares par son entêtement.
David Sawadogo
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